Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/400

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se borne à commenter, à systématiser des principes étrangers.

Dans l’ordre littéraire et artistique, ce défaut d’initiative a eu des suites très fâcheuses. Il a jeté les poètes et les peintres allemands, depuis des siècles, hors de la voie qui aurait convenu à leur tempérament national. Au lieu d’un art allemand, il les a dotés d’un art soi-disant classique, imité des Grecs et des Italiens, n’ayant ni la perfection formelle de l’art étranger qu’il copie, ni la franche et naïve bonhomie des œuvres allemandes primitives.

Mais le dommage causé est encore plus profond. Le défaut d’initiative et le respect de l’étranger n’ont pas seulement perverti l’art de l’Allemagne : ils ont corrompu le goût national, et c’est à eux que les Allemands doivent en partie de paraître aujourd’hui si dépourvus d’élégance dans tous les actes de leur vie extérieure. Leur vision naturelle n’était pas nuancée, mais ne manquait pas, dans sa rudesse, d’un certain sentiment artistique. Les villages des bords du Rhin, de la Hesse et de la Saxe sont presque toujours jolis, d’un charme naïf et original, avec leurs blanches maisons aux volets verts gracieusement entourées de jardins fleuris. Les costumes populaires sont vifs en couleur, mais d’un art simple, franc, dénotant un instinct d’harmonie. Les Allemands sont encore le peuple du monde qui sait le mieux aimer et comprendre les fleurs. La fleur joue dans la vie allemande un rôle plus important que nulle autre part : elle y est un objet plus intime, plus familier. Elle est l’ornement indispensable de toute chambre ; pas une maison de riches ou de pauvres qui n’en soit remplie. Peut-être même, s’ils n’avaient pas avant tout le souci de singer les modes étrangères, les Allemands auraient-ils trouvé dans leur instinct natif le secret d’arranger plus élégamment leurs bouquets, et de ne pas donner aux parterres de leurs jardins la lourde apparence de tartes ou de pièces montées qu’ils leur donnent presque toujours. Ce n’est point par une incapacité foncière aux impressions personnelles, c’est par l’effet de leur mépris pour eux-mêmes ou de leur besoin d’obéir que les Allemands ont perdu la réelle originalité que leur avait accordée la nature.

Au point de vue moral, au contraire, il semble que le défaut de volonté et l’esprit de soumission aient été longtemps précieux pour l’Allemagne. Les choses inertes ne se meuvent pas d’elles-mêmes; mais, une fois en mouvement, elles ne s’arrêtent plus. L’inertie de la nature allemande l’a rendue tenace, et, sous l’influence des faits extérieurs, l’a portée à maintenir à travers les siècles ses habitudes morales. Tandis que, dans le reste du monde, la lutte pour la vie devenait sans cesse plus âpre, créant des moyens nouveaux destinés à satisfaire de nouveaux désirs, les Allemands ont gardé