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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/420

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l’armée américaine n’est pas à beaucoup près satisfaisant; l’espèce des hommes est bonne, mais ils sont peu nombreux : ce sont cependant les gros bataillons qui décident la victoire. Prêchez, monsieur le marquis, cette doctrine à nos amis. Faites-leur sentir que ce n’est plus le moment de prêter à de petites considérations s’ils veulent assurer sur des fondemens inébranlables l’ouvrage glorieux qu’ils ont entrepris avec tant de courage. Ne vous lassez pas de me tailler de bonnes plumes[1]. Ce n’est pas avec une seule qu’on peut écrire un ouvrage aussi volumineux que le sera la future paix……………..

« Je vous demande de vos nouvelles, monsieur le marquis, aussi souvent que vous le pourrez. Vous ne pouvez en donner à personne qui prenne un intérêt plus vif et plus direct à tout ce qui vous regarde. Ma femme et ma famille partagent ce sentiment. Tout ce qui m’appartient se réunit pour vous prier d’agréer l’assurance du tendre et inviolable attachement avec lequel j’ai l’honneur d’être, etc., etc. »

Cette lettre était partie pour l’Amérique au moment où La Fayette s’embarquait. M. de Vergennes disait vrai en affirmant que son nom était en vénération dans la nation. Un rayon de gloire avait réchauffe les cœurs. La France était si peu habituée au succès depuis Rosbach ! Aussi tous les mémoires du temps parlent-ils de l’enthousiasme qu’excita le retour de La Fayette, enthousiasme que Marie-Antoinette elle-même partagea. On célébrait, à l’Hôtel de Ville de Paris, une grande fête à l’occasion de la naissance du dauphin. On y apprit le débarquement du vainqueur de Cornwallis. Mme de La Fayette, qui assistait à la cérémonie, reçut une marque signalée de la faveur royale. La reine voulut la reconduire elle-même dans sa propre voiture à l’hôtel de Noailles.

Les alarmes de la jeune femme durant la campagne de Virginie avaient été au-delà de ce qu’elle avait encore souffert. Les gazettes anglaises, qui seules donnaient des nouvelles au public, peignaient la situation de l’armée américaine comme désespérée. Les bruits les plus sinistres arrivaient aux oreilles de Mme de La Fayette. Elle eut la force de les cacher à Mme d’Ayen et de tout supporter seule, prenant ainsi sa revanche de la campagne précédente. La fin brillante de la guerre lui avait donc apporté une joie achetée par de longues angoisses. Le bonheur de revoir son mari, sorti, avec une auréole de gloire, de si grands dangers, le charme de sa présence, étaient sentis par elle avec une extrême vivacité. « L’excès de son

  1. Allusion à la lettre de La Fayette du 20 octobre 1781 : « Recevez mon compliment, monsieur le comte, sur la bonne plume que l’on vient enfin de tailler à la politique. » (Correspondance, t. Ier, p. 471.)