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sentiment était tel, dit Mme de Lasteyrie, que pendant quelques mois elle était près de se trouver mal lorsqu’il sortait de la chambre. Elle fut effrayée d’une si vive passion par l’idée qu’elle ne pourrait pas toujours la dissimuler à mon père et qu’elle deviendrait gênante. Dans cette vue, et pour lui seul, elle cherchait à se modérer. »

La Fayette devint à la mode. Au théâtre, les pièces du temps, comme l’Amour français, de Rochon de Chabannes, faisaient en vers, très mauvais du reste, des allusions à son retour. Le XVIIIe siècle reprenait toujours ses droits, et quelque mari modèle qu’il fût, il n’inspira pas moins une passion fort tendre qui se changea en fidèle amitié, à la femme la plus charmante de la cour, la plus belle, au dire de ses contemporains. Mme de Simiane[1]. La vicomtesse de Noailles, qui s’y connaissait, avoue « qu’elle n’avait jamais entendu parler du succès de la figure de Mme de Simiane sans une sorte d’enthousiasme. Quelqu’un a dit : Il est impossible de la recevoir sans lui donner une fête. » Jusqu’à son dernier jour, sa bonté solide, assaisonnée d’une envie de plaire constante, devait produire autour d’elle « une sorte d’effet magique. Son commerce était délicieux. Elle était d’une gaîté charmante, comme tous ses frères, les trois Damas. Cette gaité ne blessait jamais personne, parce qu’elle avait un cœur adorable, une âme élevée et un grand bon sens. » Être aimé de Mme de Simiane passait aux yeux du vieux duc de Laval pour une conquête aussi difficile que celle des principes de 1789. Ce fut une amie de l’exil, et nous ne parlons d’elle que pour mieux constater les succès mondains du jeune marquis. Quels qu’ils fussent, ils ne valurent jamais les joies de son foyer.

C’était autre chose, cependant, qu’une sorte de fierté nationale se révélant en toute occasion par les applaudissemens que le public faisait entendre à Paris dans les jardins publics, lorsque La Fayette y paraissait. Sans doute, c’était beaucoup aux yeux de la nation d’avoir battu les Anglais, sur terre et sur mer, pour la première fois depuis Louis XIV, et d’avoir pris ainsi la revanche de plus d’un siècle d’humiliation. Mais il y avait un autre sentiment dans les faveurs populaires : l’opinion publique sentait que La Fayette avait combattu et vaincu pour une cause noble et juste, la liberté d’un peuple, et elle espérait en tirer profit. C’était la Révolution qui revenait d’Amérique, et ce général de vingt-cinq ans représentait à la fois les triomphes du présent et les espérances de l’avenir.

  1. Voir la vie de la princesse de Poix, née Beauvau.