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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/449

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à qui s’adressent ces protagonistes du devoir social, chacun de ces groupes n’agira que sur un nombre restreint d’individus et leur ensemble même ne peut rencontrer la totalité des travailleurs, tant s’en faut.

N’existe-t-il donc pas un « cadre, » dans l’acception militaire du terme, capable par nature d’exercer une action plus étendue que les autres et, si ce cadre existe, n’est-il pas le premier à pénétrer de la nécessité et de l’urgence du devoir social ?


I.


Ce cadre est tout formé, destiné par son essence à exercer la direction temporaire, non pas seulement d’une fraction, de la majorité même, mais de la totalité de la jeunesse ; c’est le corps des vingt mille officiers français.

Depuis l’application intégrale du service obligatoire, c’est-à-dire depuis hier, c’est, de vingt à vingt-trois ans, toute la nation, sans exception, qui passe entre ses mains ; nul n’y échappe. Il ne s’agit plus ici de tel ou tel groupe de travailleurs ; tous, ouvriers de la main et de la pensée, lettrés et ignorans, propriétaires et laboureurs, reçoivent, pendant une période de leur vie, l’empreinte d’un lieutenant, d’un capitaine, d’un colonel.

À ce fait tout nouveau, — ce fait révolutionnaire au sens propre du terme, — doit répondre forcément un développement du rôle de l’officier, dont lui-même n’a, croyons-nous, pas encore pris conscience ; dont, en tout cas, il ne nous semble pas qu’on ait été suffisamment frappé au dehors.

Depuis vingt ans, une succession de régimes transitoires, — service de cinq ans, volontariat, dispenses, — a préparé le régime actuel ; mais, entre le dernier contingent d’une armée où le remplacement épargnait le service à tout ce qui avait quelque culture et ce contingent de 1890 qui, du licencié à l’illettré, va comprendre tous les intermédiaires, la « matière soldat, » si l’on peut s’exprimer ainsi, a radicalement changé. À ce soldat nouveau, il faut, logiquement, un officier nouveau. C’est celui dont nous allons essayer de tracer la mission, et c’est à ce point de vue initial qu’il faudra constamment se reporter pour ne pas se troubler d’une conception du rôle de l’officier qui s’éloignera peut-être du type un peu rude et exclusivement batailleur que ce nom, à tort ou à raison, avait le don d’évoquer.

Nul n’est mieux placé que l’officier pour exercer sur ses subordonnés une action efficace. En contact immédiat avec eux, il partage entièrement leurs travaux, leurs fatigues, et n’en tire néanmoins aucun profit. Son gain ne dépend pas, comme celui des