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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/468

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« Les quatre femmes se regardèrent effarées; mais Berthe, devenue soudain téméraire, le cœur crispé d’angoisse, courut à lui : « Qu’y a-t-il ? Dites, qu’y a-t-il? »

« Il avait l’air fou; il répondit d’une voix saccadée: « Il y a... il y a... que j’ai un enfant et que la mère vient de mourir. » Et il présentait, dans ses mains inhabiles, le marmot hurlant.

« Berthe, sans dire un mot, saisit l’enfant, l’embrassa, l’étreignant contre elle ; puis relevant sur son mari ses yeux pleins de larmes : « La mère est morte, dites-vous ?» — Il répondit : « Oui, tout de suite... dans mes bras... J’avais rompu depuis l’été... Je ne savais rien, moi... C’est le médecin qui m’a fait venir... »

« Alors Berthe murmura: « Eh bien ! nous l’élèverons, ce petit ! »


Au lieu de trancher ainsi la question, la pièce la dénoue longuement par un dernier acte qui, pour être, je crois, le plus intéressant, n’en demeure pas moins dissertant et raisonneur. On y plaide le pour et le contre, et de cette longue discussion nous sortons, en somme, plus inquiets que convaincus. Ils ont beau dire, le brave cousin Martinel, et le frère de la mariée, un gentil garçon d’esprit et de cœur : Jean, qui ne pouvait refuser à Musotte un dernier baiser, pouvait, devait peut-être revenir seul, avouer à sa femme cette suprême entrevue et sa paternité douloureuse, mais épargner à la pureté, à la première pudeur de l’amour conjugal, sinon le souvenir, au moins le témoignage vivant et criant, de l’illégitime amour.

Le second acte même, qui a fait répandre des torrens de larmes, ne nous a ému que d’une émotion assez banale et cent fois éprouvée. La vie de bohème, la Dame aux camélias nous on jadis touché tout autant. Sans compter qu’il est toujours facile et trop peu littéraire d’agir sur les yeux et non sur les âmes. C’est par le spectacle que cette scène a réussi, beaucoup plus que par la pensée et la parole. Jean, Musotte elle-même, ne trouvent là rien à dire que de déjà dit. Elles expirent toutes ainsi, les pauvres mourantes de théâtre: mêmes souvenirs d’enfance et d’amour, même délire, même gaîté douloureuse, même lueur d’espérance quand elles se croient guéries, et quand elles veulent se lever pour vivre, elles retombent pour mourir. Ainsi finit Musotte, après tant d’autres.

Un peu banales aussi, malgré le contraste ou par le contraste même, artificiel et voulu, de leur indifférence ou de leur trivialité avec l’horreur du drame auquel elles sont mêlées, banales, dis-je, les figures accessoires et inutiles de la sage-femme, de la nourrice, du médecin cravaté de blanc qui vient assister une mourante pendant un entr’acte de l’Opéra. Inutile encore et médiocrement comique, certaine tante de la jeune femme, vieille fille de mauvais caractère et de bon cœur; je dis vieille fille, car elle fut mariée un an à peine et il y a bien longtemps.