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nouveau chancelier, M. de Caprivi, à l’occasion des crédits militaires, de la prime de réengagement réclamée pour les sous-officiers de l’armée. M. de Caprivi, avec une franchise qui paraît un peu naïve, est allé droit au fait ; il a déclaré tout simplement que, si les lois sociales méditées par l’empereur n’arrêtaient pas le mouvement révolutionnaire, il fallait s’attendre à une guerre ouverte, et que dans ce cas on avait besoin de sous-officiers solides, éprouvés, inaccessibles à l’esprit d’indiscipline qui entre aujourd’hui avec les jeunes recrues dans l’armée. Le chancelier entre en vérité dans de singuliers détails sur la guerre des rues, sur la difficulté de conduire des soldats au feu contre leurs concitoyens, sur la nécessité d’avoir des sous-officiers plus fermes encore pour cette guerre que pour faire campagne à l’extérieur. Bref, cela ressemble un peu à un manifeste belliqueux contre les socialistes dûment prévenus. Est-ce le signe d’un retour à la politique de réaction et de compression ? Mais alors, c’est l’ancien chancelier qui triomphe, qui se trouve justifié dans ses prévisions, vengé par ses successeurs eux-mêmes. Et si, comme tout semble l’indiquer, M. de Bismarck, qui est aujourd’hui candidat dans un district du Hanovre, est élu député au Reichstag, la situation peut devenir étrange. Elle ne sera peut-être pas facile pour le grand disgracié de Friedrichsruhe, elle pourrait l’être encore moins pour le gouvernement lui-même. L’élection de Geestmunde n’est qu’une puérilité, une plaisanterie peu digne d’un homme d’un si grand passé, ou elle est une menace, un défi. M. Bismarck chef d’opposition, sortant de sa solitude pour aller défendre sa politique devant un parlement, lui qui s’est si souvent moqué des parlemens, — ce sera curieux à voir et à suivre !

Les représentations de la politique européenne varient avec les théâtres, et les affaires de l’Autriche ne sont pas pour le moment moins curieuses, moins laborieuses que les affaires d’Allemagne. Elles passent par une crise singulièrement compliquée, qui n’est encore aujourd’hui qu’une crise d’élections, qui sera demain une crise de parlement et peut devenir avant peu une crise de gouvernement. Le fait est que la situation commence à n’être plus commode ni pour le chef du cabinet, le comte Taaffe, qui après douze ans de pouvoir voit s’accumuler autour de lui toutes les difficultés, ni même peut-être pour l’empereur François-Joseph, qui aura en fin de compte à dénouer le vaste imbroglio électoral et parlementaire. Comment les choses se présentent-elles en définitive ? Le comte Taaffe, en dissolvant récemment le Reichsrath et en précipitant les élections, a cédé évidemment ou a cru céder à une nécessité. Il a cru aussi, sans doute, dégager sa position vis-à-vis d’une partie de l’opinion, en procédant à la veille du scrutin à un remaniement partiel de son cabinet, en se séparant notamment d’un de ses collègues, le ministre des finances, M. Dunajewski, qui représentait l’élément slave. S’il y a eu quelque