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voyant, c’est la première entrée dans l’histoire du dieu jaloux. Quand le peuple demande un roi à Samuel, il lui dit : « Donne-nous un roi qui nous juge, comme en ont les autres peuples. » Ce n’était pas seulement un roi qu’il lui fallait, c’était un dieu à la façon des autres peuples. Israël n’aura plus à subir le reproche et l’insulte des vieilles nations qui l’entourent et lui demandent : Quel est ton dieu ? Moab a Camoch, Tyr a Baal, les Philistins ont Dagon, Israël a Jéhovah. Avec les victoires de David, les splendeurs de Salomon, la construction du temple qui donne enfin à Jéhovah une demeure fixe et à son culte un centre de plus en plus absorbant, il devient définitivement le dieu propre d’Israël. Les triomphes de David prouvent qu’il est plus puissant que les dieux voisins : « Qui est comme toi parmi les Élohim, ô Jéhovah ? »

Il y a encore loin du Jéhovah, dieu protecteur de la tribu, au dieu un, au dieu universel, au dieu de justice. Il n’est même encore le dieu jaloux que dans la théorie d’une minorité sectaire, qui essaie en vain de faire passer dans la pratique et la règle officielle les principes qu’elle élabore et qui longtemps protestera sans succès contre les tolérances, les contradictions et l’inconscience religieuse du jéhovisme officiel. Salomon, qui érige à Jéhovah une maison splendide à Jérusalem, ne croit pas lui être infidèle ni l’irriter en sacrifiant aux dieux de toutes ses maîtresses étrangères. Un dieu national n’est pas pour cela un dieu unique et bon à tout faire. Il s’occupe des grands intérêts de la nation, lui assure la paix, la victoire, les bonnes récoltes ; mais pourquoi s’occuperait-il des particuliers et de leurs petits intérêts ? de minimis non curat. Chaque dieu a sa spécialité, et le roi Achazias a bien le droit, quand il est malade, d’aller consulter le Baal Zeboub des Philistins. L’idolâtrie n’effraie pas le jéhoviste, et quand Israël se sépare de Juda, Jéroboam ne choque pas son peuple en érigeant le veau d’or, en symbole de Jéhovah, à Dan et Beer-Scheba. A Jérusalem même, en plein temple, le serpent d’airain recevra les prières du croyant jusqu’au temps d’Ézéchias.

Le Dieu jaloux ne triomphera dans le domaine des faits que vers l’an 622, un demi-siècle à peine avant la chute de Jérusalem. Mais c’est vers l’an 875 que le Dieu, faible et incertain au début, prend conscience de lui-même et de ses ambitions avec une clarté formidable ; c’est dans la crise provoquée par l’invasion des dieux phéniciens en Israël, sous le roi Achab. A Jérusalem, la ville du temple, Jéhovah était peu contesté : c’était un dieu comme ceux des autres peuples, et la transmission régulière du pouvoir dans la famille de David favorisait un Jéhovah tranquille, sacerdotal et peu inquiet. Il en était autrement en Israël, agité par des révolutions perpétuelles. Vers l’an 900, montait sur le trône la dynastie d’Omri, le