appétits de l’heure, sans comprendre qu’à une nation, pour vivre et mériter de vivre, il faut un idéal qui fixe sa destinée et faute duquel elle s’en va à la dérive, sans lendemain, sans force et sans raison de durer, « avec son avenir pendant devant elle comme un haillon ! » Et c’est pour cela qu’aujourd’hui ces vieilles paroles heurtées et sauvages sont plus vivantes et répondent mieux au cri de nos âmes modernes que tous les chefs-d’œuvre de l’antiquité classique ; et que ces feuilles volantes, jetées au hasard de l’actualité, il y a vingt-six siècles, chez deux tribus semi-barbares, sont devenues une œuvre d’éternité.
Toutes les doctrines essentielles du prophétisme paraissent dès les deux premiers prophètes qui nous soient restés, Amos et Osée : l’un plus laïque et plus préoccupé de la justice sociale, l’autre plus religieux et plus préoccupé de morale et de Dieu. Tous deux appartiennent au prophétisme d’Israël, sinon par leur nationalité, — car Amos est né en Juda, — du moins par leur objet qui est pour tous deux la régénération d’Israël. Israël, déchiré par ses révolutions, avait plus besoin de réformateurs et leur offrait aussi un terrain plus favorable que Juda, qui, à défaut d’une moralité bien haute, avait du moins, grâce au prestige légitimiste de sa royauté, le premier des biens politiques, la stabilité. Le prophétisme ne prendra son essor en Juda qu’après la ruine d’Israël. À Samarie, comme plus tard à Jérusalem, le rêve ou mieux le programme arrêté des prophètes est d’amener la réalisation de l’état modèle, de l’état conforme aux vues de Jéhovah, c’est-à-dire appuyé sur la justice.
À l’heure où paraît Amos, Israël était au plus haut point de puissance mondaine où il lût jamais monté. Le roi Jéroboam II (825-775 av. J.-G.) avait restauré à son profit une partie de l’empire de David. Il avait écrasé Moab, que son dieu Camosh n’avait pas su sauver comme au temps du roi Mesha, et il avait fait taire dans la campagne de Hesbon a la joie des vergers et les chansons de la vendange. » Mais ses victoires sur Damas, Gaza, Tyr, Edom, Moab, ne sont pour le prophète que le signe avant-coureur des vengeances de l’Éternel suspendues sur Israël. Damas, Gaza, Tyr, Moab, Edom, viennent d’expier leurs atrocités passées et Israël, aussi coupable, doit expier à son tour, « parce qu’il vend la justice à prix d’argent et le pauvre pour une paire de sandales ; » parce que ses nobles, couchés sur leurs lits d’ivoire, grincent de la lyre pour jouer les David et boivent le vin à pleines coupes sans souffrir de la misère de Joseph. Eh bien, à cause de cela, ils pourront bâtir des maisons en pierres de taille, ils ne les habiteront