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mâles, qu’une atteinte au mariage et, par conséquent, à l’extension de la population, puisque le concubinage est bien moins fécond que le mariage, et que la mortalité des enfans naturels est bien plus grande que celle des légitimes. Cependant l’extension de la population préoccupe, je crois, beaucoup, beaucoup plus même que de raison, la plupart de nos hommes politiques. Il est évident que la situation pécuniaire de l’ouvrier garçon est, d’ores et déjà, bien meilleure, même sous le régime de ce travail des épouses et des enfans contre lequel on veut réagir, que la situation de l’ouvrier marié et père de famille, chargé de bouches à nourrir. Le mariage, par suite, est déjà un luxe. Ce luxe, on veut le rendre plus grand encore : moins la femme travaillera, moins elle sera en mesure de gagner le supplément de dépenses qu’elle représente pour le mari, de contribuer au besoin aux frais occasionnés par la progéniture, plus il deviendra onéreux à l’ouvrier de se payer une compagne régulière. Que devient alors cette moralité si précieuse à nos jurisconsultes ? Cette vie de famille, que l’on voudrait développer, ne va-t-on pas contribuer à en tarir la source dans les villes ?

Au surplus, ne nous inquiétons pas. Ces lois que l’on a votées au parlement en grande pompe, elles ne seront pas exécutées, elles ne peuvent pas l’être. Il n’est pas ici question de savoir si nos représentans ont le droit de les faire, et notre gouvernement celui de les appliquer. Le droit, nous font observer les moins entichés de socialisme, il l’a, c’est incontestable ; du moins il « doit l’avoir, » comme on dit dans les Saltimbanques, puisqu’il l’a pris ; puisqu’un décret du gouvernement provisoire de 1848 a fixé à un maximum de douze heures de travail effectif la journée de l’ouvrier dans les usines et manufactures. À cette époque, il y eut, comme de nos jours, une belle poussée de revendications sociales par la voie du journal, de l’affiche et de la tribune. Des pancartes et des députations où les femmes étaient en majorité, demandaient le « droit au travail, l’impôt progressif et la journée de dix heures. » Comme on le voit, la génération précédente était moins exigeante que la nôtre.

Pour donner jusqu’à un certain point satisfaction à ces vœux, la loi de 1848 vit le jour. C’était une belle loi, qui fut couchée toute neuve dans le Bulletin de la République, et s’y endormit aussitôt pendant trente-cinq ans. Quand on la réveilla, en 1883, pour l’inviter à faire son service, le progrès avait marché, les salaires augmenté, la durée de la journée moyenne diminué, et le chiffre de douze heures était déjà rarement atteint. La fixation du maximum de douze heures, pour les usines et manufactures, contenait, d’ailleurs, cette clause que « des règlemens d’administration publique prendraient soin de déterminer les exceptions qu’il serait nécessaire d’apporter à cette disposition générale, à raison de la nature