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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/574

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des industries ou des causes de force majeure. » Et cette exception rassurante devant s’appliquer à toutes les industries où l’on travaillait plus de douze heures, la prescription légale pouvait se formuler à peu près ainsi : « Il est absolument défendu de travailler plus de douze heures, sauf dans les endroits où l’on désire travailler davantage. » Ces endroits, sous le régime de la liberté, et grâce aux découvertes quotidiennes de la science, sont eux-mêmes devenus assez rares. Il se trouve que cette journée de dix heures, qu’il y a moins d’un demi-siècle les prolétaires entrevoyaient comme un rêve, et que les bourgeois considéraient sans doute comme une menace, est presque l’état normal, la réalité présente : 72 pour 100 des ouvriers travaillent aujourd’hui dix heures, ou moins de dix heures, 18 pour 100 travaillent onze heures, 10 pour 100 seulement travaillent douze heures ou plus.

La loi qui a édicté le maximum de douze heures de travail, avec des exceptions nécessaires, se trouve être ainsi conforme à notre organisation industrielle ; elle est aussi peu tyrannique qu’une loi qui obligerait demain, sous peine d’amende, tous les citoyens français à manger une fois au moins par vingt-quatre heures. On n’en peut dire autant de la loi de 1874, sur le travail des enfans dans les manufactures. Celle-ci n’est observée que dans la mesure des convenances particulières de chacun ; les inspecteurs sont unanimes à le constater : cette loi a pour elle l’appui moral des hygiénistes, des moralistes, des économistes et des législateurs, de tout le monde enfin,.. sauf des familles ouvrières qu’elle intéresse et qui se trouvent dans la nécessité de la violer, de demander l’entrée de leurs enfans dans les usines au-dessous de l’âge réglementaire, comme le montre l’expérience de tous les jours. On objecte qu’ils s’anémient et s’étiolent ; préfère-t-on qu’ils meurent de faim faute de nourriture, ou de froid faute de vêtemens ? Ces enfans qui peinent trop jeunes, ces adultes qui peinent trop longtemps, ce sont les moins fortunés dans la classe ouvrière, des pauvres parmi les pauvres, les orphelins, les fils des veuves, les fruits trop nombreux d’une union exagérément bénie. Il faut s’entendre : les uns veulent que les femmes françaises fassent beaucoup d’enfans ; les autres craignent que ces enfans ne se perdent par l’oisiveté qui amène la criminalité précoce ; et les autres s’inquiètent de ce que ces mêmes enfans peuvent être contraints de trop travailler.


V

Il faudrait s’entendre aussi sur le sens de ce mot « travail », et de ce mot « ouvrier. » Ce sont des expressions génériques qui embrassent mille espèces très différentes. C’est ce que les partisans