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l’absence de gains, ni même être créées sans un capital préexistant. Pour que le travail pût se passer du capital, il faudrait que les ouvriers fussent en même temps capitalistes, ce que les plus habiles d’entre eux deviennent chaque jour ; mais alors ils cessent d’être ouvriers. Les personnes changent, mais la situation ne varie pas. C’est une banalité qu’il semble oiseux de redire, qu’aucune force humaine n’organisera jamais un état de choses où le capital ferait part au travail de toutes les bonnes chances, et se réserverait à lui seul toutes les mauvaises.

Ce qu’une loi serait impuissante à obtenir, le progrès de la richesse publique, la concurrence des capitaux, suffira jusqu’à un certain point à le réaliser, par la baisse du taux de l’intérêt, qui diminue peu à peu la part du capitaliste et augmente d’autant celle du travailleur. Pour augmenter plus rapidement cette part, d’autres moyens ont été préconisés et employés, sous le régime de la liberté actuelle : les paiemens à la tâche, les grèves. Le premier a donné souvent des résultats contraires à ceux que l’on en attendait. « Il s’est produit, disait l’année dernière le congrès ouvrier de Stockholm, entre les hommes payés à la tâche une concurrence involontaire qui a eu pour résultat d’avilir le prix de la main-d’œuvre. A présent les forfaits sont tellement bas que les ouvriers ne peuvent plus gagner leur vie qu’avec un excès de travail. » Le congrès suédois s’est donc prononcé contre ce mode de rémunération. Les grèves ont donné des résultats meilleurs : en France, d’après les statistiques des dernières années, il y en a eu de 100 à 150 par an, d’importance très diverse, causées soit par des demandes d’augmentation, soit par des refus de diminution de salaires. Une sur trois a réussi complètement, ou s’est terminée par une transaction qui peut être considérée comme un succès partiel.

L’exercice du droit de coalition qui, depuis vingt-cinq ans chez nous, a fait ses preuves, est par conséquent utile et avantageux au prolétaire, soit pour attaquer, soit pour se défendre. Il est loin cependant, comme on le voit, d’être d’un usage infaillible ; quoique ceux qui y ont recours soient des hommes du métier, ayant quelque connaissance des ressources de l’affaire dont ils sont un des rouages, et qu’ils aient soin, en général, de choisir pour leurs revendications le moment qu’ils estiment le plus favorable. Croit-on qu’un législateur qui opérerait en bloc, sur toutes les industries, serait plus habile qu’eux ? Encore ces améliorations de traitement, obtenues sous une pression quelque peu violente, sont-elles parfois éphémères : celles qui ont suivi les grèves gigantesques de Westphalie, en 1889, ont été annulées, en plus d’un cas, après l’apaisement de la crise.