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cette fois, sans voir devant elle ceux qu’elle avait eu si longtemps le privilège de récompenser, M. Beulé, qui portait la parole en son nom, n’était-il que trop en droit d’exprimer à ce sujet des regrets partagés par tous les membres de la compagnie.

« Pour la première fois, disait-il, depuis que l’Institut existe, votre séance publique sera triste et découronnée. Vous n’avez point cette année jugé les concours d’art… Vous ne verrez autour de vous ni les artistes que vous proclamiez dignes d’être pensionnés à Rome par l’État, ni leurs rivaux qui applaudissaient à un triomphe mérité… Une institution que tant de révolutions avaient respectée a été renversée à l’improviste, et la jeunesse a été, non pas détachée de vous (jamais au contraire elle n’a manifesté son attachement avec plus d’éclat), mais soustraite à votre patronage. » Et, comme pour dédommager ses confrères d’une dépossession qu’il croyait, et qui devait être, en effet, temporaire, M. Beulé ajoutait : « Ce que l’on ne peut vous enlever toutefois, ce qui laisse à cette réunion une part de sa grandeur accoutumée, c’est le culte du passé, c’est le droit de célébrer les morts, c’est la douceur de chercher dans le récit d’une vie consacrée au beau des consolations ou des exemples. »

Or, l’artiste dont, cette année-là, le secrétaire perpétuel avait à prononcer l’éloge, était certes de ceux que l’on peut louer sans complaisance et présenter à tous égards comme des modèles. Hippolyte Flandrin, qu’une mort prématurée venait d’enlever à l’affection unanime de ses confrères, ne laissait pas seulement sur les murs des églises ou dans les portraits appartenant à quelques familles privilégiées, les témoignages de son beau et chaste talent : il laissait aussi les souvenirs d’une existence menée d’un bout à l’autre avec une rare sincérité, avec une élévation de cœur et une simplicité dans les habitudes qui faisaient de ce peintre si justement célèbre une sorte d’ermite en plein monde, étranger aux intrigues et aux passions du dehors aussi complètement qu’aux calculs de l’amour-propre, ne voulant voir d’ordinaire dans tout ce qui s’agitait autour de lui que des entraînemens excusables ou des erreurs dignes de compassion.

Pourtant, malgré son indulgence et sa réserve accoutumées, Flandrin n’avait pas hésité à se prononcer ouvertement contre les mesures administratives prises en 1863. C’était à Rome qu’il en avait reçu la nouvelle, et cela au lendemain du jour où il revoyait « avec l’émotion attendrie, écrivait-il, d’un amoureux devant l’ancien logis de sa maîtresse, » cette chère Académie de France qu’il avait quittée, vingt-cinq ans auparavant « avec larmes, » et qui lui apparaissait, maintenant plus que jamais, comme une