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enfonce de 15 à 20 centimètres, en raison de la différence de densité des deux liquides, ce serait au moins 6m,70, c’est-à-dire 50 centimètres de plus que le projet, qu’il faudrait assurer en tout temps à la navigation. Si on ne le fait pas, si on s’en tient aux 6m,20, le canal ne sera accessible en tout temps, tout au plus, qu’aux navires de 5m,50. C’est déjà quelque chose, et les lignes régulières spécialement affectées à cette navigation pourraient très bien s’y conformer. Mais les lignes régulières sont loin d’être tout, et l’utilité d’un port consiste surtout à pouvoir s’ouvrir à cette navigation accidentelle que les circonstances commerciales y font appeler à tout moment, subitement, et aujourd’hui presque uniquement par voie télégraphique. On affrète alors, comme l’on dit, non pas ce qu’on veut, mais ce qu’on trouve, et généralement on trouvera plutôt des navires de 6m,50 que de 6 mètres, et surtout 5m,50. Le port de Rouen en fournit tous les jours des exemples. Ce ne serait donc plus ni 6m,20, ni même 6m,70, comme nous le disions tout à l’heure, mais encore 50 centimètres de plus, soit 7m,20, qu’il faudrait donner au canal pour permettre l’accès régulier de son terminus à des navires de 6m,50. Si on ne le fait pas, les grandes opérations commerciales lui échapperont, et la consolante affirmation des auteurs du projet qu’il ne doit nuire ni à Rouen, ni au Havre, sera en partie vérifiée.

Quant à la largeur, d’après les exemples dont on s’est d’ailleurs inspiré pour la déterminer, elle paraît admissible, sauf peut-être dans ces courbes de 1,500 mètres de rayon, si nombreuses, si longues quelquefois, où 10 mètres de plus qu’en alignement droit ne sauraient suffire à racheter l’effet d’un coup de barre un peu trop fort. Mais si elle est admissible pour le passage d’un navire, il est difficile de la considérer comme suffisante pour le croisement en marche de deux navires allant en sens contraire. L’exposé du projet est obligé de convenir que, dans cette opération délicate, la distance entre les bords opposés des deux navires peut n’être que de 3 mètres. Il n’y a pas de capitaine qui veuille courir une pareille chance d’abordage. Il faudra donc ici, comme partout ailleurs en semblable circonstance, qu’un des deux navires s’arrête et se tienne à la berge, laissant à l’autre le passage libre. C’est là une cause de ralentissement ; mais cela vaut mieux que le risque d’une collision. Les causes de ralentissement ne manquent pas, d’ailleurs, tout le long de la route, et il n’est pas même certain qu’avec toute la lenteur et toute la prudence possibles, on évite toutes les chances d’accident. Entrer dans quatre écluses et en sortir, passer vingt-six fois dans l’étroit intervalle de 30 mètres que dégagera la travée mobile des ponts, c’est là une sorte de