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pouvoir. En Prusse, ce ne sont pas les majorités qui font et défont les cabinets ; ni M. Windthorst, ni ses lieutenans n’avaient aucune chance de devenir ministres. On se battait avec ardeur pour le triomphe d’une cause sacrée, sans espérer d’autre récompense que l’honneur de l’avoir bien servie et la joie des batailles gagnées. Les partis confessionnels sont peut-être les seuls dont on puisse attendre de tels dévoûmens et de telles obéissances. La foi est un ciment romain difficile à remplacer.

M. Windthorst possédait toutes les qualités du vrai politique. Il en avait le tempérament, une abondante provision de ce que les Anglais appellent les esprits animaux, cette vigueur d’esprit et de corps qui permet de se donner, de se prodiguer même, sans avoir besoin de calculer sa dépense, la faculté de réparer aisément ses pertes et de lasser l’ennemi sans qu’il vous lasse jamais. L’homme qui n’est pas à la fois très passionné et très indifférent, capable de s’échauffer tour à tour et de jouer avec les choses et les difficultés, l’homme qui n’a pas le goût du risque, des hasards et l’amour des coups, même de ceux qu’il reçoit, parce qu’il est sûr de les rendre, ne sera jamais un chef de parti. Comme lord Beaconsfield, M. Windthorst pouvait dire : « Tous ceux qui m’ont mordu ont trouvé mon talon d’acier. » Les échecs ne le décourageaient point, il ne faisait pas grise mine à la défaite : il avait une imperturbable confiance dans la victoire finale et il la communiquait à ses soldats. En politique, il n’y a que les optimistes qui arrivent à quelque chose.

Son éloquence lui ressemblait ; comme lui, elle était toujours de belle humeur. Sa parole n’avait ni pompe ni éclat ; il méprisait les tirades, les phrases à plumet, les effets oratoires. Il était essentiellement disert, net, clair et précis, solide et très subtil dans son argumentation, toujours prêt à la réplique, le plus retors des avocats. Il assaisonnait ses discours d’enjouement, d’ironie, d’une malice souvent acérée, et les flèches décochées par ce faux bonhomme restaient dans la blessure. Au surplus, il appropriait aux circonstances son infatigable faconde. Il observait toujours les convenances, le quid decet de Cicéron, et selon l’auditoire auquel il s’adressait, il variait sa manière et son ton. Il s’est fait applaudir par les chambres, acclamer par des foules, et quand il avait affaire à M. de Bismarck, c’était un homme d’État parlant à un homme d’État. Le chancelier n’a jamais pu dire de lui ce qu’il avait dit jadis d’un orateur solennel et ampoulé : « Je crois vraiment qu’il me prenait pour une assemblée populaire. »

La souplesse qu’il avait dans son éloquence, on la retrouvait dans sa conduite. Il avait des vues lointaines et le sentiment des situations, l’esprit de suite et l’esprit d’à-propos, l’art de saisir les occasions et l’industrie qui les fait naître. Né diplomate, il a mis sa diplomatie au service des intérêts d’un parti. M. de Bismarck avait introduit dans la