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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/676

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politique intérieure le système de la négociation, du marchandage, des enchères. Il disait successivement aux conservateurs, aux libéraux, aux catholiques : « A petit saint, petite offrande ; je vends mes faveurs aux forts et au plus offrant ; qui sera le dernier enchérisseur ? » Il a trouvé dans M. Windthorst un marchandeur de sa force, vendant très cher la moindre de ses complaisances et disant : « Si vous n’êtes pas content, voyez ailleurs ; c’est un prix fait, vous n’obtiendrez aucun rabais. » Le chef du parti du centre ne se payait pas de propos creux, de vagues promesses ; il exigeait des gages, de solides garanties ; il n’a jamais lâché sa marchandise sans être sûr de toucher son argent. M. de Bismarck n’a rencontré dans sa longue et étonnante carrière que deux hommes dont il n’a pu avoir raison. L’un est un tsar très réservé, qui l’a embarrassé, désolé par ses silences ; l’autre était un Hanovrien qui parlait beaucoup, mais qui a su lui prouver que, contrairement au proverbe, les paroles sont quelquefois des mâles.

On ne sait ici-bas que souhaiter, et elle avait raison, cette femme qui disait : « Depuis longtemps je ne demande plus rien à Dieu ; mes bonheurs se sont trouvés amers, et les malheurs que je craignais m’ont profité comme des dons de la grâce. » Si les événemens de ce monde avaient tourné comme M. Windthorst le désirait, si en 1866 la Prusse avait été battue par l’Autriche, si le royaume de Hanovre n’était pas devenu une province prussienne, ce fils de paysan, né en 1812 à Kaldenhof, n’aurait pas eu l’occasion de donner sa mesure, de révéler toute l’étendue de son mérite. On n’eût guère parlé de lui et sa mort n’eût pas été un événement. Il aurait consacré ses rares talens aux petites affaires d’un petit royaume ; ses amis l’auraient loué, ses ennemis l’auraient décrié, sans que ni les uns ni les autres pussent soupçonner ce qu’il valait. C’est un triste sort que celui d’un gros oiseau enfermé dans une petite cage.

Élevé au séminaire catholique d’Osnabruck, il s’était demandé quelque temps s’il serait prêtre ou juriste. Il se décida pour le droit, qu’il étudia aux universités de Gœttingue et de Heidelberg. Après avoir été avocat, puis conseiller de tribunal, il débuta dans la politique en 1849 ; chef du parti gouvernemental, il présidait en 1851 la seconde chambre de Hanovre, et quelques mois après, il devint ministre de la justice ; mais il ne le fut pas longtemps, et il dut attendre neuf ans qu’on lui confiât de nouveau un portefeuille. Rendu malgré lui à la vie privée, on le tenait en quarantaine, on le traitait en suspect. Que lui reprochait-on ? La supériorité de son esprit. On sentait que sa vocation était d’être le premier partout où il serait et à quelque place qu’on le mît. Le comte Borries, alors ministre de l’intérieur, lui avait voué une aversion particulière. Ce petit homme maigre, anguleux, pointu, à la figure sèche, au regard inquisitif, était le plus pédant des bureaucrates et détestait les politiques.