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charrois exceptionnels pour rendre inutiles des travaux tout récemment exécutés. Qu’on songe à la difficulté que présente dans de semblables conditions l’enlèvement de 25,000 hectolitres qu’il faudrait voiturer à 4 kilomètres de distance jusqu’au canal de Lunel. L’installation, à Tamariguière, d’une voie Decauville a fait disparaître l’obstacle comme par enchantement. Le propriétaire, moyennant une faible redevance de 0 fr. 25 par hectolitre, se charge du transport du vin jusqu’au bateau. On emploie à la traction les chevaux ou mules du domaine, qui sont disponibles une bonne partie de l’hiver et entièrement libres à l’époque des submersions.

Toute la zone à laquelle nous venons de consacrer la première partie de notre travail était, avant l’invasion du phylloxéra, dépourvue de vignes. La culture de cette plante ne s’étendait guère à, plus de 2 ou 3 kilomètres au sud de Marsillargues, dans la direction de la mer. Les vins produits prenaient le chemin de la distillerie et ne se vendaient guère plus de 7 francs l’hectolitre au maximum. Actuellement, sans valoir les produits des coteaux du Bas-Languedoc, les vins de la Communauté, de Tamariguière, du Grand-Cogul, grâce aux soins apportés à leur fabrication, sont très acceptables. On propage presque exclusivement deux variétés : « l’aramon, » espèce assez ancienne, à floraison précoce et par cela même sensible aux gelées, mais peu sujette aux maladies cryptogamiques, qui porte en abondance des grappes de gros fruits noirs, de la dimension et de la couleur d’une petite prune ; écrasées, ces grappes fournissent des flots d’un jus clair, peu sucré, donnant naissance à un vin faible en alcool, mais vert et franc de goût. Favorisé par ces excellens terrains de plaine, l’aramon à Marsillargues produit jusqu’à 200 hectolitres à l’hectare, les bonnes années. On associe à « l’aramon » le « petit Bouschet, » hybride de récente création, débourrant tard, mûrissant tôt ses grains inférieurs en volume à ceux de l’aramon, mais gonflés d’un suc noir. Le petit Bouschet, en outre, présente l’avantage de craindre peu le mildew ; s’il produit moins que l’aramon et s’il fournit un vin à peine plus spiritueux et de goût assez plat, il constitue un teinturier incomparable.

Ainsi, des deux variétés de vigne qui dominent dans les terres submergées de Marsillargues, l’un fournit la quantité et l’autre donne la couleur. Et la qualité, dira-t-on ? La nature même du terroir, sol de plaine s’il en fut jamais, ne permet pas de planter beaucoup de cépages aptes à faire de très bon vin, sinon à titre d’expérience et sur une petite échelle. D’autre part, les propriétaires, pour regagner les forts capitaux qu’ils ont engagés, ont besoin de recueillir promptement d’énormes récoltes provenant de