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en Languedoc, surtout dans les exploitations récemment organisées, le moût, mêlé à la rafle, fermente dans des foudres et rarement dans des cuves en maçonnerie. Diogène, certes, se fût trouvé à l’aise dans l’un de ces gigantesques réservoirs dont un seul suivrait à absorber la récolte entière d’un grand propriétaire bourguignon ou Orléanais ; chacun contient 450 hectolitres et il y en a 98 répartis dans trois immenses caves.

Lorsque vient le moment de la décuvaison, le vin nouveau s’écoule par un conduit souterrain jusqu’à un réservoir d’où le piston d’une pompe à vapeur l’injecte dans les tuyaux de distribution qui circulent horizontalement au-dessus des foudres et à la hauteur du premier étage. On ouvre un robinet placé au-dessus du foudre que l’on veut remplir ; un sourd grondement retentit et une cascade de vin se dégorge dans le vaste tonneau.

Les foudres, dans chaque cave, se distribuent en deux rangées parallèles, au milieu desquelles circulent, sur des rails, des wagonnets Decauville. Quand le foudre décuvé ne dégoutte plus, on en dégage le trou d’homme ; un ouvrier, à peine vêtu, s’introduit dans le récipient encore chaud et, trempé de sueur, expulse à coups de fourche le résidu des grappes que ses camarades recueillent dans un wagonnet. Une fois débarrassé de son contenu, rincé à grande eau, nettoyé à fond, le foudre est prêt à recevoir le vin nouveau fabriqué dans un autre récipient. Quant au marc, on le transporte au pressoir, encore tiède et humide, et c’est par l’intermédiaire de la machine à vapeur qu’il est foulé et dépouillé de son jus. Les vins de presse étant ordinairement troubles, on les oblige à se dépouiller sur des filtres en toile. Ainsi clarifiés, ils se mêlent avantageusement aux vins ordinaires, qu’ils renforcent en couleur.

A l’intérieur de l’usine, comme nous l’avons vu, les transports s’opèrent au moyen de chariots roulant sur des rails. Même en plein air, on pourrait voir fonctionner des véhicules de ce genre ; pendant la période de la fumure, ils glissent sur des voies provisoires établies au milieu des plantiers et transportent l’engrais nécessaire aux vignes. De cette façon, deux mules seulement tirant des wagonnets chargés de fumier accomplissent un travail dont six ou huit bêtes avaient jadis peine à s’acquitter. Mais l’utilité des chemins de fer agricoles se manifeste bien mieux encore lorsque, la récolte une fois vendue, il s’agit de procéder à son enlèvement. Le problème à résoudre était assez épineux. Arrosant un sol absolument privé de cailloux et de pierres, les pluies d’automne rendent impraticables la plupart des chemins ; les propriétaires des alentours ont beau suppléer à l’incurie de l’administration et réparer les routes à leurs frais, il suffit d’une journée d’averse et de quelques