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dévastatrice. Toute trace de son influence est appelée à disparaître. Dès les premières pages du Capital, Marx répudie dédaigneusement Lassalle ; on vient de tirer de ses papiers posthumes la critique la plus acerbe du programme de Gotha, qui, disait-il, par ses compromis conduirait le parti à la démoralisation. L’influence de Marx est aujourd’hui prépondérante ; comme toujours le radicalisme le plus violent est appelé à l’emporter, aussi bien en Angleterre, comme on l’a vu au dernier congrès des trades-unions, qu’en France et en Allemagne. Les socialistes ont beau se flatter de « suivre l’évolution de la science économique ; » ils n’ont rien ajouté aux idées de Marx. Aucun théoricien nouveau n’a surgi après lui. Il reste avec son ami Engels, dont on célébrait récemment à Londres le 70e anniversaire de naissance, le chef doctrinaire de la démocratie socialiste allemande et internationale.

M. Paul Leroy-Beaulieu a soumis la théorie de Marx à une longue discussion, vigoureuse, claire, approfondie[1]. Nous nous bornerons à résumer ici les points essentiels du credo collectiviste, gravés dans les têtes socialistes avec l’évidence d’axiomes.

Ainsi que nous l’avons indiqué, Marx considère l’histoire comme dominée par les intérêts matériels. Empruntant à Hegel l’idée d’évolution, il ne voit dans les phases successives de la civilisation que le développement de la production économique entraînant à sa suite un combat de classes. Il se distingue des socialistes de l’ancienne école en ce qu’il ne cherche pas un système humanitaire, le plus parfait possible, d’organisation future de la société : il se borne à étudier dans le passé les transformations économiques d’où sont sorties les classes et leur conflit, il cherche à pressentir la courbe de l’avenir. Partant de ce principe, enseigné dans les universités par les professeurs d’économie politique, si favorables par là au socialisme, — qu’il n’y a pas de lois économiques permanentes, mais seulement des phases transitoires, affirmation que nie notre école libérale française, — il ne se borne pas à critiquer le mode de production capitaliste existant, et ses conséquences sociales, il a cherché à l’expliquer.

Autrefois, dit Engels[2], son collaborateur et son meilleur interprète, l’artisan était propriétaire de ses instrumens de travail ; la propriété de son produit, reposant sur son propre travail, lui

  1. Le Collectivisme, examen critique du nouveau socialisme, par M. Paul Leroy-Beaulieu. Paris ; Guillaumin.
  2. Marx, le Capital, traduction française. — Engels, Die Entwicklung des Sozialismus von der Utopie zur Wissenschaft ; Hottingen Zurich, 1883. — Schœffle, Quintessenz des Socialismus, 12e édition. Gotha, 1890. Les pages qui suivent ne sont qu’un résumé de ces auteurs.