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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/95

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de diamans : ce sont des octogones dont les pans polis par l’ouvrier, repolis par le temps, jouent avec la lumière, l’emprisonnent, amollie, tempérée. Les plafonds s’élèvent en cônes taillés à facettes, s’achèvent en une pointe exacte de cristal. Dans ces demeures flotte une demi-clarté fraîche où luisent et s’enroulent voluptueusement, suivant un inextricable dessin, les arabesques et les fleurs enchâssées. Par endroits, la pierre épaisse, amoureusement découpée, fait une dentelle subtile sur la clarté blanche épandue dans l’espace.

Autour de ces chambres circulent les terrasses, non pas ceintes de balustrades, mais entourées de ciel, terminées soudain dans le vide par la chute verticale des hautes murailles rouges qui tombent à pic jusqu’au fleuve. — Combien de fois les reines et les odalisques paresseuses, éternellement enfermées dans ce paradis d’albâtre, se sont couchées sur cette surface de marbre pour voir mourir la lumière et pâlir les eaux lentes de la Jumma, leurs yeux alanguis pleins de la vision qui est la mienne en ce moment ! Un rayonnement de rose flotte dans l’immense plaine, enveloppe toutes les formes indécises. Devant moi, sur une corniche de marbre, un perroquet est immobile : tout se tait dans l’évanouissement lent du jour. — En bas, l’eau froide remue un peu de clarté parmi les sables. Il y a des campemens sur la rive, d’où montent des fumées droites. Sur une grand’route poudreuse, des bœufs traînent des chars pesans, des chars antiques dont on voit tourner les roues massives. — Plus loin, des chameaux avancent en file grêle avec une ondulation fière et timide de leurs cous de cygnes, — procession mélancolique, demi-cachée par les nuages de poussière, demi-perdue dans la vaporeuse lumière qui noie toutes les choses...


11 décembre.

On sait que le Taj est un mausolée élevé par le Mogol Shah-Jehan à la Begum Muntaz-i-Mahal. C’est un octogone régulier surmonté d’une coupole persane, entouré de quatre minarets. L’édifice, posé sur une terrasse qui domine les jardins environnans, est fait de blocs de marbre pur et s’élève à deux cent quarante-trois pieds. On descend de voiture devant un noble portique de grès rouge, percé d’une puissante ogive, couvert d’arabesques blanches. On pénètre sous la voûte et l’on aperçoit le Taj qui se dresse à huit cents mètres de distance. Probablement nul chef-d’œuvre de l’architecture ne produit une émotion qui ressemble à celle-ci.

Tout au fond d’un jardin merveilleux, réfléchi dans toute sa blancheur par un canal d’eau sombre qui dort immobile entre des épaisseurs de cyprès noirs et de larges monceaux de fleurs rouges,