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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/94

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treillis délicat. Et malgré tant de richesses, malgré l’enchâssement des pierres multicolores, les lignes, les tons, les lumières s’harmonisent ; tout est simple, tout est juste, comme dans un temple grec. C’est ici une efflorescence spontanée de l’art, aussi parfaite que celle qui s’épanouit dans les cités libres de l’Hellade, témoignant d’une éducation aussi raffinée du goût et de l’intelligence, mais achevée par des despotes religieux, maîtres du travail et des vies d’un grand peuple, qui gâchèrent et pétrirent la matière humaine pour éterniser leur vision de la beauté.

Quel poète moderne a fait un rêve aussi délicieux que le Mogol qui fit construire les Zenanas et les salles de bain des femmes ? Dans des chambres où le jour n’a pas accès, fraîches de la fraîcheur du marbre, se creusent des vasques de jade dont l’eau vive coule de l’une à l’autre. Sur l’albâtre translucide des voûtes et des colonnes, dix mille petits miroirs à facettes brillent dans l’obscurité comme des diamans, réfléchissent mystérieusement les lueurs des innombrables veilleuses qui brûlent au fond des niches. Les Mille et une nuits n’ont rien conçu de semblable : c’est un palais de fées ou de génies situé dans les profondeurs de la terre, loin de notre monde, loin de notre soleil, fait de pierreries, plein d’une ombre éternelle et pourtant éclairé par les feux intérieurs de ces pierreries. Là dedans, qu’on imagine ce qu’y voyait Akbar, l’ondoiement voluptueux des formes féminines, un peuple de Circassiennes, d’Arabes, d’Hindoues, choisies dans toute l’Asie par le caprice d’un tyran tout-puissant, flâneuses couchées au bord des vasques qu’elles effleurent de leur pied nu, dormeuses assoupies au frais murmure des eaux courantes, baigneuses qui tordent leurs lourds cheveux, mirées dans le cristal obscur, toutes enveloppées de l’étrange et vague clarté, — véritablement pour Akbar, après le souci des affaires, à l’heure où le soleil est accablant, un lieu de paix, de fraîcheur et de délices.

Tout en haut du fort, séparé des palais impériaux par des jardins, sur une terrasse qui domine la Jumma et regarde toute la plaine, est l’appartement des femmes, — six chambres de marbre immaculé dont les murailles découpées à jour, ou simplement évidées en rectangles, laissent librement passer l’air et la lumière. Ce harem est la perle délicate qui couronne les bastions rouges du fort. Littéralement, ces demeures sont faites de pierres précieuses ; tous ces murs sont des joyaux. Sur les douze faces de chacune des sveltes colonnes serpentent mollement de fines branches dont les fleurs sont des turquoises et des améthystes. Le long des murailles de marbre d’autres fleurs de marbre, des rangées de lis et de tulipes toutes ouvertes et nonchalamment retombantes, s’épanouissent avec un relief pâle et doux. Ces chambres ont des formes