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dispose le poète dramatique est étendu, les notes variées ; et, en même temps, nous voyons un des genres les plus aimés, les plus cultivés, la comédie de harem, se cristalliser dès ses débuts dans une formule invariable. Si nous pouvions suivre l’histoire du théâtre, la même stérilité se manifesterait par les imitations incessantes, par l’infatigable reprise des mêmes sujets épiques. Comment concilier tant de variété et tant de monotonie, tant de souplesse et tant d’uniformité ?

Il ne faudrait pas croire que la diversité des sujets corresponde à une véritable originalité. Les théoriciens de la poétique hindoue divisent la poésie en deux grandes classes : celle « qui s’entend » et celle « qui se voit, » qui est représentée sur le théâtre. Cette classification assez grossière est plus significative qu’il ne semble d’abord. Si l’on excepte telle pièce allégorique qui n’est qu’un jeu d’esprit isolé, une imitation tardive du drame traditionnel, peut-être aussi quelques compositions, monologues ou bouffonneries, un peu plus voisines de la vie réelle, tous les ouvrages dramatiques, autant que nous en pouvons juger par nombre d’exemples certains, sont en somme dérivés des autres genres. C’est de l’épopée, du roman ou du conte qu’ils procèdent. Une œuvre qui se donne comme étant de Bâna, le contemporain du roi Harsha, le Mariage de Pârvati, n’est rien que la mise en œuvre dialoguée d’un poème narratif de Kâlidâsa. Les drames épiques qui présentent les grandes épopées découpées en scènes ne sont pas une invention moderne : un des plus anciens témoignages que nous possédions sur le théâtre nous parle du « Râmâyana mis en nâtaka. » Là même où la copie n’est pas servile, la part d’invention du poète dramatique est singulièrement faible. On loue Kâlidâsa d’avoir dans Çakountalâ su motiver par la malédiction d’un ascète l’oubli fatal de Doushyanta. En admettant que l’invention appartienne bien à Kâlidâsa, l’éloge même est significatif ; la malédiction d’un ascète irrité est un des lieux-communs de la poésie narrative ; pour faire honneur à un auteur dramatique d’un pareil ressort, il faut que l’on soit accoutumé à attendre bien peu de son génie inventif.

Ce que l’épopée est pour les drames légendaires, la littérature des contes, — en particulier la Brihat-Kathâ, cette mine inépuisable des récits chers à l’Inde, — l’a été pour les comédies plus familières. Shakspeare a lui aussi emprunté bien des sujets à des nouvelles connues. Il ne faudrait pas rapprocher les deux situations. Ici, ce n’est pas seulement la donnée qui est de part et d’autre semblable ; les ressorts, les détails, la marche de l’action, les procédés littéraires sont identiques. L’invention dramatique est limitée à quelques variantes plus ou moins ingénieuses. L’action même préoccupe très peu le poète ; sa virtuosité ne s’exerce qu’à des ornemens