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descriptifs, à des développemens sentimentaux ou pittoresques qui auraient tout aussi bien leur place dans un poème épique ou élégiaque.

Par là, s’expliquent justement une foule de maladresses scéniques, d’invraisemblances, qui, il faut bien le dire, gâtent un peu l’agrément de plusieurs drames pour des lecteurs qui n’y sont pas faits. Ce sont des scènes intercalaires dont les personnages ne font que traverser le drame pour mettre le spectateur au courant des faits que le poète ne peut ou ne sait introduire dans la contexture de la pièce. Ce sont des voix mystérieuses qui résonnent dans l’espace ; l’acteur est censé les percevoir, il en répète pour le bénéfice des auditeurs les utiles renseignemens. Ailleurs, ce sont au contraire des répétitions de circonstances vues ou connues des spectateurs que les personnages, interrompant le mouvement naturel du dialogue, se glissent à l’oreille. Plus d’une fois des oiseaux parlans, la çârikâ, une manière de perroquet, en redisant une conversation saisie par hasard, communiquent aux intéressés les incidens d’où dépend la marche de la pièce. L’expédient s’explique dans le conte, il n’est pas d’un théâtre indépendant, prenant dans la vie réelle son point d’appui direct.

Les poètes sont visiblement préoccupés de multiplier les lieux-communs qui prêtent au déploiement des agrémens de style sans présenter aucun intérêt scénique : description des momens de la journée, des saisons, de la lune et de l’aurore, de palais et de batailles.

Quant à l’action, ils la prennent d’une façon tout empirique ; c’est une matière donnée. Elle n’est dominée chez eux par aucune de ces conceptions générales qui se dégagent de l’enfantement d’une forme littéraire nouvelle, consacrent son individualité, lui font une âme, si j’ose ainsi dire.

On peut prévoir d’abord le peu de place que tiendront ici la création des caractères et l’analyse des passions. Ni l’épopée ni le conte ne comportent une grande complexité dans les caractères individuels ; l’intérêt naïf du récit y est tout ; le détail psychologique peu de chose. Le théâtre n’a pu leur emprunter la curiosité ni l’entente profonde des mouvemens humains ; il ne leur a pris que des types arrêtés d’avance par la tradition, types personnels ou types généraux, Râma ou Sitâ, le roi ou l’ascète, l’amoureuse ingénue ou l’amoureux galant et courtois. S’interdisant à lui-même tout effort original, s’enfermant dans la description lyrique comme moyen principal de développement, il était paralysé d’avance. Pour peindre l’héroïsme, il est réduit à des tableaux de combat où l’envahissement du merveilleux, des armes surnaturelles, gâte d’abord pour nous l’intérêt. Les scènes d’amour sont, de la part de l’héroïne, presque