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invariablement des scènes muettes. L’amour n’y connaît pas ces préparations délicates qui, diversifiées suivant les circonstances et les personnages, donnent du prix à des peintures vouées d’ailleurs à une irrémédiable monotonie. Le poète indien se hâte vers le dénoûment : le héros voit l’héroïne, il est épris ; l’héroïne a entrevu le héros, elle n’est plus maîtresse de son cœur. Son adresse s’épuisera à faire vanter par le héros les charmes de sa maîtresse, à décrire les ravages physiques que l’excès d’une passion toute sensuelle exerce aussitôt chez les amoureux de ce théâtre.

Il ne s’attache point à graduer les passions, à en suivre tous les mouvemens ; cette observation vivante, cet enchaînement des faits moraux, échappent aux prises de l’esprit hindou. Il se contente de mettre en œuvre leurs manifestations les plus ordinaires, et, si je puis ainsi dire, leurs exposans conventionnels.

Rien n’est plus varié que la passion, avec ses ressorts si souples et si mobiles ; rien n’est moins varié que son masque. Par ce vice originel, la poésie dramatique se trouvait confinée dans les lieux-communs ; elle n’a guère cherché à les renouveler qu’en forçant les couleurs, en renchérissant d’âge en âge sur les peintures traditionnelles.

Malhabile à saisir les idées et les sentimens en eux-mêmes et dans la conscience humaine, l’esprit hindou est incapable d’une préoccupation soutenue des convenances intimes. La distinction nette du concret et de l’abstrait, du possible et de l’absurde, lui échappe ; il pousse en un relief désordonné les traits de détail ; trop souvent il nous offre la grimace plus que la physionomie du sentiment.

Les indications scéniques remettent aux acteurs le soin d’exprimer par le geste et la pantomime telles situations, tels incidens que les ressources imparfaites de la mise en scène ou ses limites naturelles ne permettent pas de représenter aux yeux : la marche rapide d’un char, un long parcours simulé en quelques pas, que sais-je ? Trop souvent les développemens du poète dramatique nous apparaissent de même comme les gestes conventionnels des mouvemens intérieurs qu’il est impuissant à mettre en action ou même à analyser de près. La passion n’est point le moteur véritable de l’action ; en trop de rencontres, elle n’est que le prétexte consacré de péripéties et d’enjolivemens obligatoires. Dans la comédie de harem, un des ressorts principaux de l’intrigue est l’apeurement du roi en présence ou en prévision du ressentiment que son nouvel amour va inspirer à la reine. Si le scrupule était fondé sur les restes d’un attachement sincère, il éveillerait l’intérêt. Mais point : c’est bel et bien la peur, la crainte des violences de la reine, qui, par un manque de mesure choquant, est censée inspirer ses hésitations, ses reculs. Étant donnée la polygamie, étant donnée l’organisation d’une