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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/141

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III

Dimanche.

Le dimanche, Berlin perd complètement son aspect habituel. À l’endroit où s’agitait, les jours de semaine, une population affairée et bruyante, on dirait qu’une paisible ville de province tout à coup ressuscite et se remet à vivre sa vie d’autrefois. Les boutiquiers ont tendu du haut en bas de leurs magasins une énorme toile blanche cachant la vitrine : chacun sait, en vérité, qu’ils trichent et que, derrière ce store baissé, le magasin reste ouvert ; mais cette apparente clôture suffit pour modifier l’aspect de la rue. La plupart des rues, d’ailleurs, sont désertes. J’en ai vu, au centre comme dans les quartiers extérieurs, qui restaient absolument vides toute l’après-midi. Trois ou quatre grandes rues, en revanche, la Friedrichstrasse, la Leipzigerstrasse, surtout l’allée des Tilleuls, sont tellement encombrées dès midi, qu’il serait impossible de traverser la foule sans l’assistance des sergens de ville commis à cet effet. Un monde tout nouveau envahit la Friedrichstadt : un monde de badauds venus là des faubourgs et des villages voisins, de braves gens qui se promènent au pas, vont et reviennent, et sans doute rentrent chez eux le soir avec la sensation de s’être mêlés à la vie de la ville géante. Les ouvriers berlinois eux-mêmes sont rares dans cette cohue : rien n’y rappelle le public des autres jours. Les ruraux endimanchés qui se promènent, le dimanche, sur le cours de Châtellerault ou de Tarascon y apportent un air plus citadin que cette foule de petits bourgeois de Berlin et des environs. C’est ici qu’on pourrait observer, si on en avait le loisir, mille traits comiques des vieilles mœurs allemandes. J’ai rencontré ce soir, sous les Tilleuls, pendu au bras de sa mère qui semblait nous l’exhiber orgueilleusement, un petit garçon de six ans, vêtu en boy anglais, avec un bonnet de hussard à panache et un col bleu de matelot. J’ai vu deux enfans habillés en soldats qui échangeaient, en se croisant, le salut militaire : à quatre pas de distance, l’un d’eux s’arrêtait, la main à sa casquette, allait chercher le regard de son ami, le fixait obstinément, le suivait des yeux quatre pas après qu’il était passé, puis se remettait en marche de son côté. Mais tout cela n’a aucun rapport avec le véritable Berlin, qui comporte aujourd’hui des manières plus élégantes et des sentimens moins ingénus.

A Berlin comme à Paris, mais toujours à Berlin avec plus de régularité et un ensemble plus parfait, il n’y a personne qui