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ne se croie tenu à se divertir le dimanche. C’est un divertissement déjà que l’office religieux du matin. Les Berlinois ne sont pas dévots, ni même pieux : il n’est guère de chose dont ils soient fiers autant que de celle-là. Un grand nombre s’abstiennent de tout devoir de religion. Un grand nombre aussi observent les pratiques de leur culte, mais ceux-là sont israélites et servent Dieu le samedi. Impossible de trouver une place dans leurs synagogues : et la location des sièges est annoncée dans les journaux longtemps à l’avance. Quant aux Berlinois chrétiens, ils sont libres penseurs ; il faut voir le sourire entendu que provoque, chez les plus respectueux, toute nouvelle manifestation pieuse du jeune empereur Guillaume II. L’énorme majorité des ouvriers de Berlin sont athées, et la guerre à la religion occupe dans leur socialisme une place bien plus grande que dans le socialisme de nos ouvriers français. Leurs femmes commencent depuis quelque temps à partager leur passion antireligieuse : il n’y a guère aujourd’hui de réunion publique ouverte aux deux sexes où des femmes ne parlent en termes haineux contre Dieu et la religion. Dans les classes moyennes, on est plus indifférent ou plus timoré : mais là aussi ce sont les femmes autant que les hommes qui font profession d’impiété. Les Berlinois qui vont au temple le dimanche y vont parce qu’ils sont fonctionnaires, ou parce qu’ils veulent entendre un prédicateur à la mode, ou parce qu’ils espèrent voir la famille impériale, ou parce qu’ils n’ont pas de meilleure façon d’employer la matinée. Les offices du Dôme sont de véritables solennités mondaines. On y fait d’excellente musique, les dames y viennent en toilette ; et, dès le matin, les portes sont assiégées par une masse de braves gens dont les yeux ébahis n’expriment rien qui ressemble à la ferveur de la foi.

Ceux qui ne trouvent pas de place au Dôme s’en vont en face, au musée. Le musée de Berlin est en passe de devenir le plus beau musée du monde. Le gouvernement n’épargne aucune dépense pour l’embellir ; et comme souvent une acquisition nouvelle amène l’envoi en province de quelque morceau de valeur secondaire, je ne doute pas que, avant dix ans, il n’y ait là un musée historique modèle, comprenant toutes les époques de l’art et uniquement formé de chefs-d’œuvre. Mais cela n’importe pas aux Berlinois. Les jours de semaine, je n’ai vu au musée que des étrangers, le guide rouge à la main ; et quant à cette foule suburbaine qui envahit les salles le dimanche, elle ne s’inquiète pas de la qualité de ce qu’on lui montre. Chacun regarde les tableaux consciencieusement, l’un après l’autre, déchiffrant d’abord les étiquettes, épelant les noms et surnoms des peintres, leurs dates, les titres de leurs œuvres. Impossible de discerner sur les visages