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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/143

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autre chose qu’une satisfaction uniforme, une vénération également répartie entre tous les ouvrages exposés.

Le musée ferme à une heure. Le public n’a guère le temps de voir plus d’une salle ou deux : mais le repos des fonctionnaires doit passer avant le plaisir du public. Nulle part le fonctionnaire n’est traité avec autant d’égards qu’à Berlin. J’imagine que les sergens de ville, par exemple, sont ici les plus heureux des hommes. Il faut les voir se promener d’un air triomphant et dominateur, entourés du respect universel. Les jours de pluie, un solide manteau de caoutchouc les tient à l’abri ; l’hiver, un collet de fourrure les protège du froid. Et on me dit que leur beau casque surmonté d’une boule fait autant de conquêtes que le casque à pointe des officiers.

L’après-midi, tous les vrais Berlinois sont à la campagne. Les riches possèdent des villas dans les environs : les pauvres, en guise de villas, possèdent quatre ou cinq mètres carrés de terrains dans une de ces nombreuses Laubenstadt (ville de tonnelles) qui remplissent la banlieue et les faubourgs de Berlin. Une Laubenstadt est un grand espace carré divisé en une foule de petites sections encloses d’une haie, avec une niche en bois au milieu. Chacune de ces sections est louée à une famille de Berlin : c’est sa maison de campagne. On y cultive un minuscule parterre de fleurs : on y fait la cuisine ; on y joue au skat ; on y donne rendez-vous aux amis pour boire et pour causer. Et comme chacun de ces carrés est grand au plus de quelques mètres et que la plupart, le dimanche, sont encombrés de visiteurs, c’est un spectacle singulier de voir tous ces gens entassés là, parqués et clos à la façon d’un troupeau de moutons, et nullement gênés dans leurs épanchemens de famille par le voisinage les uns des autres.

Ceux qui n’ont pas même le bonheur de pouvoir louer une tonnelle s’en vont passer le dimanche dans les brasseries des faubourgs. Ces brasseries sont faites pour eux. C’est à l’adresse de leurs femmes qu’on a écrit en grosses lettres sur la porte du jardin : « Ici, les familles peuvent faire elles-mêmes leur café, » ou encore : « Ici, la cuisine à café est ouverte aux honorées dames. » Car c’est depuis quelque temps la forme parfaite du bonheur pour les femmes de la petite bourgeoisie berlinoise, de pouvoir faire elles-mêmes le café de la famille. Et pour concilier ce goût familial avec le besoin irrésistible qui pousse tout Berlinois à vivre en public, hors de sa maison, il est d’usage que dès que l’on a une après-midi de loisir, on vienne s’installer dans ces brasseries des faubourgs. Les familles arrivent chargées de paniers contenant des provisions et le précieux café : on prend possession d’une table,