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les lois russes, et certains sujets du tsar ont tenté récemment de la remettre en vigueur.

De même pour les mariages. La défense, tant de fois répétée, faite aux juifs d’épouser des chrétiennes, et aux chrétiens d’épouser des juives, montre que de mal a eu le clergé des deux rites pour empêcher de pareilles unions. Les chrétiens n’avaient point alors pour le juif l’aversion qu’il leur a depuis inspirée. Aux yeux des barbares nouvellement baptisés, le judaïsme était une religion comme une autre, une façon d’hérésie ou de secte chrétienne. En Occident, à Lyon, l’archevêque Agobard, comme quatre siècles plus tôt, Chrysostome à Antioche, se plaint de ce que les chrétiens prennent part aux fêtes des juifs et assistent aux sermons des rabbins. Il fallut à l’Église un long effort pour amener tous ses enfans à distinguer nettement l’ancienne loi de la nouvelle. Le besoin de tracer entre les deux cultes une ligne de démarcation a été une des raisons des précoces sévérités du droit canon contre les juifs. L’Église n’entendait pas persécuter les débris d’Israël, ni exciter contre eux le fanatisme de masses ignorantes ; elle voulait surtout séparer la loi mosaïque de la loi du Christ, empêcher qu’on ne les confondît, ou qu’on ne les unît dans le même respect[1]. Peut-être fut-ce là, aussi, un des motifs de sa répugnance à remettre l’Ancien-Testament aux mains des laïques. Toutes les prescriptions du droit canon vis-à-vis du juif ont eu pour point de départ le désir de l’isoler du chrétien, afin de soustraire les fidèles à son influence. C’est ainsi que le moyen âge a été peu à peu conduit à élever un mur entre le juif et le chrétien. La hiérarchie ne fut rassurée que lorsqu’elle eut entouré le bercail du Christ d’une palissade assez haute pour mettre ses ouailles à l’abri de la séduction des rites judaïques.

Il ne faut pas oublier que, parmi les hérésies, il y en a eu plusieurs à tendances juives ; que, parfois même, le judaïsme semble avoir fait des prosélytes malgré lui. Rappelons-nous que, en Russie, à Novgorod et à Moscou, les « judaïsans » ont été fort puissans aux XIVe et XVe siècles ; que, aujourd’hui encore, il reste çà et là, dans le peuple, des communautés de soubbotniki, de sabbatistes qui, avec le respect du sabbat, se sont approprié plusieurs des prescriptions de l’ancienne loi[2]. J’ai même entendu signaler, au

  1. Cette vérité a été loyalement reconnue par un savant Israélite, M. Isidore Loeb : Nouveau Dictionnaire de géographie universelle de M. Vivien de Saint-Martin (article Juifs, p. 998).
  2. Voyez l’Empire des tsars et les Russes, t. III. — La Religion, liv. III, ch. X. — Des missionnaires écossais du milieu du siècle ont rencontré en Palestine, à Saphed, un Russe converti au judaïsme, et le cas, disaient-ils, n’était pas isolé. (Narrative of a Mission of inquiry to the Jews from the Church of Scotland, in 1839.) Anonyme, Edimbourg, 1844, p. 283.