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Caucase, un groupe de sectaires qui, non contens d’adopter les observances judaïques, auraient fait venir des juifs pour leur réciter des prières en hébreu. On a parfois supposé que ces sabbatistes étaient des juifs de race, une espèce de marranes russes, autrefois baptisés par contrainte ; c’est plutôt l’inverse, ce sont des chrétiens d’origine, épris des coutumes juives.

Si dans les artères d’Israël coule du sang étranger, païen ou chrétien, il est plus certain encore que les peuples chrétiens ont du sang juif. Durant des siècles, les conversions, volontaires ou forcées, ont fait entrer des milliers de familles israélites dans le sein des nations chrétiennes. Il n’est peut-être pas un peuple européen, et, par suite, un peuple américain, qui soit pur de tout mélange avec le Sémite juif. De l’Espagne des Wisigoths à l’Allemagne des croisades, et des nuevos cristianos de Castille ou des marranes du Portugal aux « frankistes » de Pologne, tous ont reçu, à diverses époques, une infiltration de sang israélite. Ce qu’a coûté à Israël, depuis une quinzaine de siècles, le baptême, libre ou contraint, des fils d’Abraham, qui nous le dira ? Le chiffre ne peut en être évalué que par millions. A voir la rapidité de l’accroissement numérique des juifs, depuis les quelque cent années qu’ils jouissent de la tolérance, il est permis de supposer que, si la croix ne lui eût, à chaque génération, enlevé des milliers de ses enfans, le judaïsme compterait aujourd’hui quatre ou cinq fois, peut-être dix fois plus d’adhérens. La différence est passée dans les nations chrétiennes. Quelques-unes, comme l’Espagne ou le Portugal, ont absorbé tant de sang juif qu’elles en ont été pour ainsi dire imbues.

Des édits de Théodose et d’Héraclius à la révolution française, Israël a été comme une île ou un archipel dont les bords, rongés par les flots, s’éboulaient peu à peu dans la mer, si bien que, à plus d’une époque, il a paru menacé d’une submersion totale. De la postérité de Jacob, le petit nombre seulement, une minorité infime peut-être est, jusqu’au bout, demeurée fidèle à la foi de ses pères. La grande majorité des douze tribus a passé sous le joug de la croix ; elle est depuis longtemps fondue avec nous : l’eau du baptême l’a dissoute dans les nations. Qui que nous soyons, nous ne saurons jamais si, parmi nos ancêtres, nous ne comptons pas quelque maigre juif du Nord ou du Midi. Quand on songe aux croisemens séculaires, effectués de l’un à l’autre, on a peine à reconnaître, dans l’antipathie du juif et du chrétien, l’antagonisme fatal du Sémite et de l’Aryen.