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au mélange des races ? Non, assurément ; il faut aussi faire la part des influences de milieu. Le juif garde l’empreinte des contrées et des climats traversés par ses pères. Des ksour du Sahara aux aouls des steppes turcomanes, et des orangers du Guadalquivir aux bouleaux de la Duna, Israël n’a pu, impunément, vivre deux mille ans sous les ciels les plus opposés. De là, pour les juifs, là même où le sang hébraïque a subi le moins de croisemens, une autre cause de diversité. On sait que l’histoire a partagé les fils de Jacob en deux grands groupes, d’importance numérique inégale : les Séphardim et les Askenazim, les juifs du Midi, appelés juifs portugais ou espagnols, et les juifs du Nord, dits juifs allemands ou polonais[1]. C’est là, on doit le remarquer, une distinction tout historique ou géographique, qui n’a rien à voir avec les anciennes tribus d’Israël. Les distinctions de tribus ont disparu pour faire place à de nouveaux groupemens selon la langue ou les pays d’origine.

Séphardim et Askenazim ne diffèrent pas seulement par leurs traditions et leurs rites ; les uns et les autres conservent souvent encore, dans leurs traits, la marque des migrations auxquelles les a condamnés l’intolérance des siècles. Des deux groupes, les Séphardim semblent le plus pur d’alliage étranger. Ils se sont toujours regardés comme l’élite de la nation, jusqu’à ne pas vouloir être confondus avec les autres juifs. Ayant longtemps vécu au milieu de Sémites ou de demi-Sémites, ils ont probablement plus de sang sémitique. Leurs traits ont, d’habitude, plus de finesse : c’est parmi les Sêphardim des deux sexes que se rencontrent les plus beaux exemplaires du type juif. Ce type prend parfois, chez eux, une noblesse qui est plus rare chez les juifs du nord. Quelques-uns, cependant, en Portugal ou en Afrique, ont pu, comme les Portugais eux-mêmes, se mésallier parfois à des esclaves de race noire. Chez les Askenazim, le vieux sang d’Israël s’est davantage mêlé à celui des nations ; il a été, pour ainsi dire, largement étendu de sang barbare. La race se ressent des croisemens anciens avec les pesantes populations du nord-est, en même temps qu’elle a été marquée au visage par le rude climat du nord. Les traits se sont fréquemment alourdis : le nez est devenu plus gros, les lèvres, plus épaisses ; et ces différences physiques semblent parfois se retrouver au moral. — « Comment, me disait un Russe, voulez-vous qu’avec nos longs hivers, avec nos rhumes et nos catarrhes, les ailes du nez sémitique aient conservé leur finesse orientale ? » Le climat, cependant, n’a pu suffire à changer des nez aquilins en nez retroussés

  1. Séphardim vient de Séphardi, nom biblique de l’Espagne ; Askenazim. vient d’Askenaz, ancêtre supposé des Allemands, d’après les généalogies bibliques. Aux Sêphardim, aujourd’hui, de beaucoup les moins nombreux, se peuvent rattacher les juifs d’Italie, et ceux du Comtat et du midi de la France.