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Galicie, tels que Kompert ou Sacher-Masoch. Israël subit la loi commune : il va, lui aussi, s’effaçant sous le rouleau d’uniformité qui passe sur le monde.

L’étonnant est que le Talmud ait réussi à le tenir quinze siècles cloîtré dans ses rites. La synagogue et le Kahal y eussent échoué, dès longtemps, si le séparatisme rabbinique n’eût été doublé de l’exclusivisme chrétien. Elles se fussent écroulées, sous le poids des âges, les lourdes murailles talmudiques, n’était qu’elles ont été consolidées, et comme arc-boutées du dehors, par nos lois canoniques et nos lois civiles. Chaque fois que le juif faisait mine d’en sortir, nous le ramenions à la Judengasse. En l’expulsant de notre société, nous le condamnions à demeurer parqué dans la sienne ; en lui interdisant de faire partie de notre commune, de notre peuple, de notre nation, nous lui enjoignions de demeurer l’homme de sa tribu. On connaît le supplice de l’emmurement ; nous l’avons infligé à des générations de juifs. Tout le droit chrétien et musulman semblait combiné à dessein pour maintenir Israël à l’état de corporation ou de clan, calfeutré dans ses coutumes héréditaires. Sous ce rapport, rien de plus instructif que l’étude des lois du moyen âge et des lois de l’ancien régime[1]. Elles expliquent comment Juda, dispersé, s’est coagulé en minces grumeaux à la surface des nations, sans que les siècles aient réussi à le fondre avec elles, pareil à des gouttes d’huile qui flottent sur un étang.

Ils n’ont donc pas tort, les juifs, quand ils nous disent : Vous vous plaignez de notre exclusivisme, et vous avez tout fait pour le fomenter et pour le prolonger. Nos rabbins nous avaient emprisonnés dans le Talmud, et vous avez barricadé les portes, pour que nous ne pussions les ouvrir. De peur d’être confondus avec nous, ou de nous voir nous mêler à vous, vous nous avez relégués dans des quartiers spéciaux, et vous nous avez infligé des costumes distinctifs et des signes infâmans. Quoi d’étonnant si, ne pouvant être citoyens de vos états ou bourgeois de vos villes, nous n’avons pu être autre chose que juifs, ne connaissant d’autre patrie qu’Israël et d’autre gouvernement que le Kahal ? — Et, de fait, comment s’est, le plus souvent, formé le sentiment national ? C’est, nous le savons, par réaction contre l’étranger, par le besoin de se défendre contre un oppresseur ou un ennemi commun. Or, durant des siècles, toute la conduite et toute la législation des peuples chrétiens envers les juifs ont tendu à leur inculquer une conscience nationale juive. — Supposez, disait Macaulay, que, pendant un millier d’années, les hommes aux cheveux roux aient partout été soumis

  1. C’est encore, à bien des égards, la législation de la Russie et de la Roumanie, et les effets en sont analogues.