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à des restrictions et des vexations spéciales à la couleur de leur chevelure ; il est évident que les hommes roux de tous pays se seraient regardés comme compatriotes et parens, alors même que de sang différent.

Le reproche que nous lui adressons, le juif peut, ici encore, nous le retourner. Si, en tant de pays, il persiste à former une tribu ou une société à part, c’est, en grande partie, que nous l’y avons forcé ou habitué. Aujourd’hui même que nous lui avons donné la clé du ghetto, lui ouvrons-nous toujours spontanément notre porte ? Français, Allemands, Slaves, Hongrois, Roumains, l’engageons-nous volontiers à s’asseoir à notre table ? Ce qui nous arrête, ce n’est plus pourtant le défaut de langue commune pour nous entretenir avec lui, ou le regret de ne pouvoir lui faire manger hacher. — « Pourquoi ne jouez-vous pas avec cette petite fille ? entendais-je, un jour, au parc Monceau, demander à des enfans. — Maman, parce qu’elle est juive. — De quel côté, surtout, vient l’exclusivisme aujourd’hui ? Dans la plus grande partie de l’Europe, en France notamment, il semble moins venir des juifs que des chrétiens. Le juif est, le plus souvent, jaloux de se mêler à nous ; il en est parfois importun. Ce qu’on lui reproche, ce n’est plus tant de s’enfermer avec ses pareils et de s’éloigner de nous ; c’est plutôt, au contraire, de s’imposer à nous ; c’est de s’introduire, bon gré mal gré, dans notre société ou dans notre monde, de forcer les portes de nos cercles et de nos salons ; c’est d’envoyer ses enfans, avec les nôtres, à nos écoles et à nos collèges, au lieu de les laisser au héder ou au mélamed ; c’est, en un mot, d’enjamber toutes les barrières sociales ou mondaines que nous prétendions maintenir entre lui et nous. Les murs du ghetto sont tombés, l’esprit du ghetto survit souvent, — chez ceux même qui s’en croient affranchis.

D’où vient cette persistante et involontaire antipathie ? N’a-t-elle d’autre raison que d’instinctives réminiscences des préjugés de nos pères ? A parler franc, je n’oserais l’affirmer. Pour se l’expliquer, il faut examiner de plus près cette race juive, dont le contact répugne encore à tant d’hommes de sang moins noble. Aussi bien, pour la connaître, il ne nous suffit point de savoir de quels élémens, ethniques ou religieux, elle est la combinaison. Avant de voir quelle place les nations contemporaines doivent faire aux juifs, il est bon de rechercher ce qu’est l’esprit, le caractère, le génie juifs. Il y aura là, me semble-t-il, un curieux chapitre de psychologie.


ANATOLE LEROY-BEAULIEU.