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le XVIIe siècle tiennent à la marche de la civilisation européenne plutôt qu’à l’influence et aux destinées de la France, mais la prérogative de la France consiste à s’être trouvée dans des circonstances où son mouvement propre était précisément dans le sens du mouvement général de l’Europe, de manière à la placer tout naturellement à la tête du mouvement général, à la rendre l’interprète et le véhicule des idées communes, à faire en sorte qu’elle pût signer de son nom les grandes choses auxquelles elle se mêlait. »

Et il n’y a pas enfin de littérature dont la vertu sociale ou civilisatrice soit plus considérable, parce qu’il n’y en a pas dont les grands écrivains, tout en étant originaux, l’aient été plus simplement, avec moins de charlatanisme, et j’oserais presque dire avec plus d’abnégation.

Avant eux en effet, et après eux, non-seulement l’écrivain a mêlé sa personne dans son œuvre, — Ronsard dans ses Amours et Montaigne dans ses Essais, Rousseau dans son Héloïse et Chateaubriand dans son Atala ou dans son René, — mais il y en a dont l’œuvre entière n’est, pour ainsi parler, qu’une promenade ou quelquefois une divagation complaisante autour d’eux-mêmes. Au contraire, comme encore les grands peintres de la Renaissance et comme les sculpteurs grecs, nos classiques, les vrais classiques, n’ont mis d’eux dans leur œuvre que le moins qu’ils pouvaient, en s’étudiant à corriger, par l’interposition ou l’interférence de celle des autres, leur vision particulière des choses et leur conception personnelle de la vie. Leur crainte perpétuelle a été, comme le disait l’un d’eux, « d’abonder dans leur sens individuel, » et leur effort de se souvenir que l’art était fait pour l’homme et non l’homme pour l’art. De là le caractère, non pas précisément « commun » ou « moyen, » ainsi qu’on l’a dit quelquefois, — et qui d’ailleurs ne les rendrait que plus classiques encore peut-être, — mais le caractère « public » de ce qu’ils nous ont laissé. Bossuet l’a bien marqué, dans son Discours sur l’histoire universelle, en y parlant des philosophes et des poètes de la Grèce :

« Ce que fit la philosophie pour conserver l’état de la Grèce n’est pas croyable. Plus ces peuples étaient libres, plus il était nécessaire d’y établir par de bonnes raisons les règles des mœurs et celles de la société… Il y eut des extravagans qui prirent le nom de philosophes, mais ceux qui étaient suivis étaient ceux qui enseignaient à sacrifier l’intérêt particulier et même la vie au salut de l’État… »

« Pourquoi parler des philosophes ? Les poètes mêmes qui étaient dans les mains de tout le peuple, les instruisaient plus encore qu’ils ne les divertissaient. Le plus renommé des conquérans regardait Homère comme un maître qui lui apprenait à régner. Ce grand poète n’apprenait pas moins à bien obéir et à être bon citoyen. Lui et tant