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d’autres poètes, dont les ouvrages ne sont pas moins graves qu’ils sont agréables, ne célèbrent les arts utiles à la vie humaine, ne respirent que le bien public, la patrie, la société, et cette admirable civilité que nous avons expliquée. »

Raisons morales, raisons historiques ou philosophiques, raisons esthétiques, lesquelles faut-il que l’on ajoute encore pour établir que, s’il existe une littérature vraiment capable de nous « instruire » autant ou plus que de nous « divertir, » c’est la littérature du XVIIe siècle ? et que c’est donc elle qu’il faut que l’on maintienne à la base d’un enseignement secondaire classique purement français ?

Car il serait aisé d’en tirer d’autres, et de non moins fortes, de la nature même des genres que nos écrivains du XVIIe siècle ont portés à leur perfection : éloquence, théâtre, observation morale ; genres « communs » entre tous, si je puis ainsi dire, qui s’adressent aux hommes assemblés, et dont l’objet, selon l’expression de Voltaire, est, « en rendant les hommes plus sociables, d’adoucir leurs mœurs et de perfectionner leur raison. »

Ils ont encore écrit dans le temps précis de la perfection de la langue, s’efforçant de mettre dans le discours, tout l’ordre et toute la netteté dont il était capable, plus naturels, avec cela, plus simples qu’aucun de ceux qui les ont précédés, et non pas moins exacts, mais moins méticuleux que ceux qui les ont suivis.

Et enfin, — cette considération n’est pas non plus indifférente, — émancipés de l’imitation souvent servile du grec et du latin dont Boileau n’a pas eu tort de critiquer, dans Ronsard, « le faste pédantesque, » et s’étant converti « en sang et en nourriture » ce que leurs prédécesseurs avaient maladroitement emprunté de l’Espagne ou de l’Italie, ce sont les plus Français de nos écrivains, ceux en qui l’on reconnaît le moins de traces de l’étranger ; et, tout universels ou européens qu’ils soient, ce sont pourtant ceux dont les qualités les plus rares échappent le plus aisément à quiconque n’est pas de leur race.

Aussi, de leur égaler, — je ne dis pas dans nos préférences, qui doivent toujours demeurer libres et ne jamais régler ni gêner nos jugemens, — mais dans nos programmes d’enseignement, qui que ce soit de leurs prédécesseurs ou de leurs successeurs, ne serait-ce rien de moins, en déplaçant le centre de notre histoire littéraire, que de désorbiter l’esprit français lui-même. Non que les autres n’aient aussi leur place, et leur place considérable. Mais elle est autre ; et, ce que je discute ici, c’est le choix des auteurs qui, durant les six années que l’on assignera sans doute à l’enseignement secondaire français, seront ceux qu’on ne devra pas se lasser de relire. Pour les raisons que l’on vient de voir, il n’y en a guère plus d’une douzaine : Corneille et Racine, Molière et La Fontaine, Boileau, Mme de Sévigné, Pascal et Bossuet,