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qui l’admirent, étant ceux qui pensent et sentent comme lui, font une école avec lui ; si les écoles ne se groupent qu’autour des idées ; et s’il n’y a d’histoire enfin que des idées.

Sur ces indications, voit-on le programme qu’il serait facile de tracer ? Je l’espère ; et qu’il répondrait aux exigences d’un enseignement secondaire purement français et vraiment classique. Ce ne sera toutefois qu’à une dernière condition, dont il me reste à dire, très brièvement quelques mots.

Aucune des parties de cet enseignement ne pourra être donnée, ni ne devra donc l’être, par des professeurs qui ne sachent eux-mêmes beaucoup plus de choses qu’ils n’en devront enseigner. Le latin, qui n’est pas indispensable à l’intelligence de la littérature française, encore qu’il n’y puisse pas nuire, est indispensable à ceux qui seront chargés d’enseigner l’histoire de cette littérature, et celle de la langue ou de la grammaire. C’est ainsi que le droit romain, dont on dit que la connaissance n’est pas indispensable aux notaires ou avoués, ne saurait être ignoré de nos magistrats ni surtout de nos professeurs de droit. Nous demandons qu’on ne l’oublie pas quand on organisera l’enseignement secondaire français. De cette manière, ce que le latin pourra perdre en étendue d’influence, il sera permis de dire qu’il le regagnera par ailleurs et par exemple en autorité. Ce qui n’était guère qu’une étrange illusion, à moins que ce ne fût une mauvaise plaisanterie, quand on le disait pour excuser la diminution de la part du latin dans l’enseignement classique, pourra devenir une réalité, quand le latin ne contribuera plus qu’à former les professeurs de l’enseignement français. La question est de savoir si l’on maintiendra le principe. Car si l’on ne le maintient pas, l’expérience est là qui le prouve : l’enseignement classique français aura tôt ou tard le sort de l’enseignement français spécial, qu’on le destine à remplacer ; et c’en sera fait non plus seulement alors du latin, mais, en matière d’enseignement comme ailleurs, de cet esprit de tradition dont une démocratie ne peut pourtant pas plus se passer qu’une aristocratie. « L’humanité, — je le répète encore une fois de plus avec Auguste Comte, et je ne cesserai de le redire, — l’humanité se compose en tout temps de plus de morts que de vivans. »


F. BRUNETIERE.