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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/228

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devient alors facile de situer les moindres accidens du sol. Pareillement en histoire littéraire. Le reste s’apprendra plus tard ou ailleurs, ou au besoin ne s’apprendra pas, comme ce qu’il faut penser des tragédies de Campistron ou des romans de Mme de Murat. Ce que l’enseignement secondaire doit donner, c’est le dessin général de l’histoire de la littérature.

Il faudra, sans doute, aussi qu’on modifie, pour la rectifier, une division qui ne semble avoir jusqu’ici servi, en nous rendant comme aveugles ou indifférens aux époques de transition, qu’à nous ôter la connaissance des œuvres où les chefs-d’œuvre s’essaient, et pour ainsi dire, s’ébauchent avant que de naître. Il y a quelqu’un et quelque chose entre Corneille et Racine ; il y a quelque chose et quelqu’un entre Fontenelle et Voltaire ; et quelque chose et quelqu’un qui expliquent une partie de leur œuvre. Ne parlons donc plus de XVIe, ni de XVIIe, ni de XVIIIe siècle, ou parlons-en, si nous le voulons, mais ne croyons pas que cette chronologie abstraite réponde à la réalité. Les époques de l’histoire d’une littérature se déterminent ou devront désormais se déterminer par rapport à elle ; et on ne tiendra compte, dans le nouvel enseignement de l’histoire littéraire, ni des événemens politiques, par exemple, ni des avènemens royaux, à moins qu’eux-mêmes ils ne se trouvent, comme quelquefois, coïncider avec des avènemens ou des événemens littéraires.

Cela seul, en faisant l’histoire littéraire plus semblable à la réalité, la rendra plus conforme à la vie. Car, il ne faut pas l’oublier, la littérature française est chose toujours vivante, et nous en pouvons bien immobiliser une partie, mais non pas la traiter comme morte, cette partie même ; et d’ailleurs, ici, comme en tout, la fin finale de l’analyse, c’est la synthèse. On déterminera donc, pour une époque donnée, la relation des œuvres qu’elle a vues naître avec l’idée la plus générale dont ces œuvres ne sont elles-mêmes que l’expression, puis le rapport de cette idée avec celles qui l’ont précédée ou suivie ; et c’est au développement naturel de cette idée qu’en conformant le développement de l’histoire littéraire, on y introduira ce qu’elle exige de mouvement pour être vraiment une histoire. Quelques critiques, je le sais, et quelques historiens l’ignorent. Ce sont ceux qu’on entend demander tous les jours à quoi bon les écoles, et s’il ne suffit pas que les œuvres soient belles, sans qu’on s’inquiète après cela de savoir si elles sont naturalistes ou idéalistes ? Que ne disent-ils également qu’il suffit que le bœuf soit comestible et le mouton aussi, sans qu’on s’inquiète après cela de savoir en quoi les ruminans diffèrent des carnassiers ! Mais ces questions, qui font toute l’histoire naturelle, font toute une partie de l’histoire littéraire, et sa partie presque la plus vivante, si jamais l’homme, pour grand qu’il soit, ne sent ni ne pense isolément ; si ceux