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quelque ironie. Il leur expliquait comme quoi on peut être conservateur sans être ministériel, comment lui personnellement il avait souvent changé selon les circonstances sans cesser d’être conservateur. Il a fait des allusions un peu étranges, passablement transparentes, aux présomptueux et aux agités qui ne connaissent pas le premier mot de la politique et de la sagesse : quieta non rnovere ! Il a raconté qu’on lui avait demandé de ne pas s’occuper de politique et que c’était une ridicule absurdité de prétendre imposer le silence à un homme comme lui qui a manié toutes les affaires, qui peut se croire obligé de défendre son œuvre, les intérêts allemands mis en péril par les idées fausses ou par la frivolité. Au demeurant, l’ancien chancelier s’est exprimé certainement de façon à ne pas préparer sa paix avec son jeune souverain ; il a parlé en homme mécontent de tout, impatient de retrouver une place, même petite, sur la scène publique, tout prêt, s’il l’osait, à se faire chef d’opposition contre ses successeurs et au besoin contre le jeune empereur lui-même. Ce qu’il y a de plus curieux, c’est qu’après avoir passé sa vie à braver et à humilier le droit parlementaire, il ne trouve rien de mieux aujourd’hui que de demander à ce droit parlementaire un moyen de panser ses blessures et de se venger de ses mécomptes. Il en sera certes ce qui pourra dans les affaires d’Allemagne ; à un point de vue supérieur de moralité humaine, on s’aperçoit une fois de plus qu’il y a des hommes qui, pour avoir été trop heureux, restent désarmés contre la disgrâce, qui ne savent pas voir que pour eux, après une grande carrière, il y a plus de dignité et d’honneur dans la réserve que dans les éclats bruyans d’une colère stérile !

Voici près d’un mois déjà qu’a été ouverte à Madrid la première session d’un parlement nouveau-né du suffrage universel récemment rétabli au-delà des Pyrénées. Cette expérience nouvelle du suffrage universel, préparée par le dernier ministère libéral de M. Sagasta, acceptée et poursuivie sans subterfuge par le ministère conservateur de M. Canovas del Castillo, n’était peut-être pas sans péril ; elle avait aussi ses avantages, entre autres celui de montrer que la royauté, même la royauté d’un enfant sous la régence d’une femme, n’avait rien d’inconciliable avec les plus larges réformes, et d’appuyer la monarchie sur les masses populaires. Par le fait, elle a réussi autant qu’elle pouvait réussir. Elle s’est accomplie sans agitations intérieures et sans trop d’incohérence, elle a été conduite avec art, avec une vigilante autorité par le gouvernement. Y a-t-il eu dans ce vaste scrutin des excès, des abus de pouvoir, des captations de suffrages, des violences locales ? c’est précisément ce que le congrès est occupé à examiner depuis près de trois semaines, en mettant peut-être un peu de lenteur dans cette laborieuse vérification des pouvoirs et en se perdant dans les détails. Il a pu certainement y avoir des incidens équivoques à peu près inévitables dans un tel mouvement, des irrégularités que l’opposition n’a pas manqué