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non pas indirectement et par extraordinaire, mais « directement et à l’ordinaire, sur toutes les Églises et sur chacune d’elles, sur tous les pasteurs et tous les fidèles, sur chacun des fidèles et chacun des pasteurs. » — Lisez ceci dans le latin : chaque mot, par sa vieille racine et par sa végétation historique, contribue à fortifier le sens autoritaire et romain du texte ; il fallait la langue du peuple qui a inventé et pratiqué la dictature, pour affirmer la dictature avec cette précision et cette abondance, avec cet excès d’énergie et de conviction.


II

Non moins grave est le changement qui s’est introduit dans la condition et dans le rôle de l’évêque. Avec la noblesse de cour et la grande propriété ecclésiastique, on voit disparaître par degrés le prélat de l’ancien régime, cadet d’une famille noble, promu par faveur et très jeune, largement rente et bien plus homme du monde que d’église. En 1789, sur 134 évêques ou archevêques, il n’y avait que 5 roturiers ; en 1889, sur 90 évêques ou archevêques, il n’y a que 4 nobles[1] ; avant la Révolution, le titulaire d’un siège épiscopal avait en moyenne 100,000 livres de rente[2] ; aujourd’hui, il ne touche que 10,000 ou 15,000 francs de traitement. A la place du grand seigneur, aimable et magnifique maître de maison, occupé à représenter, à recevoir la belle compagnie, à tenir table ouverte dans son diocèse quand il s’y trouvait, mais, à l’ordinaire, absent, habitué de Paris ou courtisan à Versailles, voici venir, pour s’asseoir sur le même siège avec le même titre, un personnage dont les mœurs et les origines sont différentes, administrateur résident, bien moins décoratif, mais bien plus agissant et gouvernant, pourvu d’une juridiction plus ample, d’une autorité plus absolue, d’une influence plus efficace. A l’endroit de l’évêque, l’effet final de la Révolution est le même qu’à l’endroit du pape, et, dans le diocèse français, comme dans l’Eglise universelle, le nouveau régime dresse un pouvoir central, extraordinaire, énorme, que l’ancien régime ne connaissait pas.

Autrefois, l’évêque rencontrait autour de lui, sur place, des égaux et des rivaux, corps ou individus, aussi indépendans et puissans que lui-même, inamovibles, propriétaires fonciers, dispensateurs d’emplois et de grâces, constitués par la loi en autorités locales, patrons permanens d’une clientèle permanente. Dans sa

  1. Almanach national de 1889 (sur ces 4, un seul appartient à une famille historique, M. de Dreux-Brézé, évêque de Moulins).
  2. L’Ancien Régime, 84, 156, 195, 382.