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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/255

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propre cathédrale, son chapitre métropolitain était, comme lui, collateur de bénéfices ; ailleurs, d’autres chapitres l’étaient aussi, et, contre sa suprématie, savaient maintenir leurs droits. Dans le clergé régulier, chaque grand abbé ou prieur, chaque abbesse noble était, comme lui, une sorte de prince souverain ; souverain aussi par la survivance partielle de l’ancien ordre féodal, tout laïque, seigneur terrien et justicier dans son domaine ; souverain aussi, pour sa part, le parlement de la province, avec ses droits d’enregistrement et de remontrance, avec ses attributions et ses ingérences administratives, avec son cortège d’auxiliaires et subordonnés fidèles, depuis les juges des présidiaux et des bailliages jusqu’aux corporations d’avocats, procureurs et autres gens de loi[1]. Acquéreurs et propriétaires de leurs charges, magistrats de père en fils, bien plus riches et bien plus fiers qu’aujourd’hui, les parlementaires du chef-lieu, dans leurs vieux hôtels héréditaires, étaient les vrais chefs de la province, ses représentans à perpétuité et sur place, ses défenseurs populaires contre l’arbitraire des ministres et du roi. Tous ces pouvoirs, qui jadis faisaient contrepoids au pouvoir épiscopal, ont disparu. Confinés dans leur office judiciaire, les tribunaux ont cessé d’être des autorités politiques et des modérateurs du gouvernement central : dans la ville et le département, le maire et les conseillers généraux, nommés ou élus pour un temps, n’ont qu’un crédit temporaire ; le préfet, le commandant militaire, le recteur, le trésorier-général ne sont que des étrangers de passage. Depuis un siècle, la circonscription locale est un cadre extérieur où vivent ensemble des individus juxtaposés, mais non associés ; il n’y a plus entre eux de lien intime, durable et fort ; de l’ancienne province, il ne reste qu’une population d’habitans, simples particuliers sous des fonctionnaires instables. Seul, l’évêque s’est maintenu intact et debout, dignitaire à vie, conducteur, en titre et en fait, de beaucoup d’hommes, entrepreneur sédentaire et persévérant d’un grand service, général unique et commandant incontesté d’une milice spéciale qui, par conscience et profession, se serre autour de lui et, chaque matin, attend de lui le mot d’ordre. C’est que, par son essence, il est un gouverneur d’âmes ; la révolution et la centralisation n’ont point entamé sa prérogative ecclésiastique ; grâce à cette qualité indélébile, il a pu supporter la suppression des autres ; ces autres lui sont revenues d’elles-mêmes et par surcroît, y compris la primauté locale, l’importance effective et l’ascendant social, y compris

  1. Cf. l’histoire des parlemens de Grenoble et de Rennes aux approches de la Révolution ; notez la fidélité de tous leurs subordonnés judiciaires en 1788 et 1789, et la puissance provinciale de la ligue ainsi formée.