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si complètement la liberté de l’individu, les intérêts légitimes des accusés, les droits sacrés de la défense. En effet, les Américains ont importé d’Angleterre le writ of habeas corpus, c’est-à-dire le privilège pour le détenu de réclamer en tout temps son élargissement, lorsqu’il peut établir l’illégalité de sa détention, et ce writ, généralement accordé par les juges des états particuliers, peut l’être exceptionnellement par les juges fédéraux[1], soit qu’on allègue de part ou d’autre la violation de la constitution ou des traités, soit qu’il s’agisse d’un étranger et qu’on revendique pour ou contre lui les principes du droit des gens. Quand on annonce une mort accidentelle ou violente, un fonctionnaire du comté, le coroner, se rend immédiatement sur les lieux, assisté d’un jury qui, sur l’inspection du corps et après avoir recueilli les renseignemens nécessaires, constate sous forme de verdict les causes probables de l’événement. Au début de l’information criminelle, on rencontre, aux États-Unis, le grand jury, chambre d’enquête et d’accusation, complètement indépendant de toute magistrature à partir du moment où le président de la cour lui a remis les dossiers, recruté dans plusieurs états, par exemple au Vermont, au Connecticut, dans la Virginie, parmi les hommes les plus estimés du pays : institution imaginée en Angleterre pour protéger les citoyens contre les poursuites injustes ou frivoles du pouvoir royal, maintenue en Amérique, ainsi que l’a très bien expliqué l’illustre jurisconsulte Story, comme une barrière aux vengeances individuelles et aux entraînemens populaires : c’est ce jury qui peut, seul, consacrer par son vote approbatif l’acte d’accusation (indictment), préparé par le prosecuting attorney[2]. Plus tard, quand le jury de jugement se réunira, son verdict ne pourra se former que par l’accord de tous ses membres. Enfin cette garantie même n’est pas jugée suffisante et la loi permet encore à l’accusé, dans plusieurs états (à New-York, par exemple), quand le verdict vient d’être prononcé, d’interpeller tour à tour chacun des jurés, pour s’assurer que ce verdict collectif exprime exactement son sentiment individuel. Appréciant cet ensemble d’institutions tutélaires, l’Américain Webster l’oppose à l’apparente simplicité des lois qui régissent les états despotiques : « Notre système complexe, plein de restrictions et de contrepoids aux pouvoirs législatif, exécutif et

  1. Voir les actes du congrès du 3 mars 1833, du 29 août 1842 et du 5 février 1867.
  2. Il existe toutefois une procédure exceptionnelle (information), d’ailleurs exclusivement applicable, d’après le droit commun, aux common misdemeanors, qui se poursuit sans le concours du grand jury. En outre, un très petit nombre de constitutions (voir celle de l’Indiana, art. 7, et de l’Illinois, art. 2) autorisent les législatures des États particuliers à supprimer le grand jury. On trouvera d’intéressans détails sur cette matière dans la République américaine, de Carlier, t. IV, p. 190 et suiv.