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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/328

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attentats commis par les pirates et des exécutions vengeresses prescrites par les pouvoirs publics de la Caroline[1], si les noms et les actes de Yeamann, de Colleton, de Seth Sothel, de Ludwell, nous ont été fidèlement transmis, Lynch est insaisissable : aucun document ne nous révèle quand et comment il aurait dirigé l’administration de la justice pénale. Toutefois Lossing persiste à croire, dans son Encyclopédie populaire de l’histoire américaine, que ce mystérieux personnage fut un fermier carolinien, mais appartenant à la Caroline du Nord : il n’aurait pas été régulièrement investi de fonctions judiciaires, et se serait érigé lui-même en grand juge à une époque où les lois coloniales réprimaient imparfaitement la mauvaise conduite des Indiens ou des nègres, et n’aurait pas craint d’exécuter sommairement ceux qu’il croyait coupables. Enfin quelques auteurs ont prétendu que la loi terrible était appliquée en Irlande dans les temps les plus reculés et que sa dénomination la rattachait non à un colon de la Caroline, mais à un magistrat d’une vieille souche irlandaise[2].

La loi de Lynch, quelle qu’en soit l’origine, a jeté de profondes racines dans le sol américain. Ce phénomène historique paraît d’abord d’autant moins explicable qu’il contraste avec le respect affiché par la race anglo-saxonne pour la liberté des individus et pour les droits des accusés. Il surprend moins ceux qui réfléchissent au développement progressif de la grande république. Ainsi, lorsque la célèbre ordonnance de 1787 organisa les premiers territoires du Nord-Ouest, qui devaient se transformer plus tard en cinq états importans : l’Ohio, l’Indiana, l’Illinois, le Michigan, le Wisconsin, elle assura sans doute par un texte formel l’exercice de la liberté individuelle, le jugement par jurés dans toutes les affaires criminelles, le droit pour les inculpés de fournir caution, et défendit aux juges de prononcer des peines inusitées ou cruelles, mais réserva l’exécution de ces mesures pour la période où des « états » succéderaient à l’organisation provisoire. En attendant, il fallut bien pourvoir à l’administration de la justice, et le congrès ne croyait pas même pouvoir instituer sur-le-champ des juridictions : il se bornait donc à conférer aux gouverneurs des attributions vagues en les autorisant à créer des townships (communes) et des comtés, sur les terres affranchies du titre indien, sauf modifications ultérieures par les législatures locales à partir du moment où la population d’un district deviendrait assez nombreuse pour élire une chambre des représentans. Il est aisé de concevoir

  1. Voir Carroll, History of South Carolina, t. Ier, p. 127.
  2. On désignait, dans la vieille Angleterre, une coutume analogue sous le nom de Lidford law.