Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/33

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Eglise gallicane : du reste, j’ai le glaive à mon côté, et prenez garde à vous ! » — En effet, au bout de toutes ses institutions, on découvre la sanction militaire, la punition arbitraire, la contrainte physique, l’épée qui va frapper ; involontairement, les yeux prévoient l’éclair brusque de la lame, et la chair pressent la rigidité pénétrante de l’acier.


VIII

On agit ainsi en pays conquis. Effectivement, il est dans l’Église en pays conquis[1] : comme la Hollande ou la Westphalie, elle est une communauté naturellement indépendante qu’il s’est annexée par traité, qu’il a pu englober, mais non absorber dans son empire, et qui reste invinciblement distincte. Dans une société spirituelle, le souverain temporel, surtout un souverain comme lui, catholique de nom, très peu chrétien, tout au plus déiste, et de loin en loin, à ses heures, ne sera jamais qu’un suzerain extérieur et un prince étranger. Pour devenir et demeurer maître dans une telle annexe, il convient de montrer toujours l’épée. Néanmoins, il ne serait pas sage de frapper incessamment ; à trop frapper, l’épée s’userait ; il vaut mieux utiliser la constitution de l’annexe, la gouverner indirectement, non par régie, mais par protectorat, employer à cela les autorités indigènes, mettre à leur compte les rigueurs nécessaires. Or, en vertu de la constitution indigène, les gouvernans de l’annexe catholique, tous désignés d’avance par un caractère indélébile et propre, tous tonsurés, en robe noire, célibataires et parlant latin, forment deux ordres inégaux en dignité et en nombre, l’un inférieur, qui comprend les myriades de curés et vicaires ; l’autre supérieur, qui comprend quelques dizaines de prélats.

Profitons de cette hiérarchie toute faite, et, pour mieux nous en servir, serrons-la ; d’accord avec le haut clergé et le pape, accroissons l’assujettissement du bas clergé ; par les supérieurs, nous gouvernerons les inférieurs ; qui tient la tête tient le corps ; il est bien plus aisé de mener soixante évêques et archevêques que quarante mille vicaires et curés ; à cet endroit-ci, ne nous chargeons pas de restaurer la discipline primitive ; ne soyons ni antiquaires ni gallicans. Gardons-nous de rendre au clergé du second ordre l’indépendance et la stabilité dont il jouissait avant 1789, les garanties canoniques qui le protégeaient contre l’arbitraire épiscopal,

  1. Rœderer, III, p. 430 (19 germinal an X) : « Le légat a été reçu aujourd’hui au palais consulaire ; en prononçant son discours, il tremblait comme la feuille sur l’arbre. »