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Californie : Stockton, Marysville, Sacramento, etc., les effets de leur action simultanée, la prompte expulsion des malfaiteurs et l’assainissement moral du pays, enfin la reconstitution du comité de San-Francisco, formé cette fois de 5,000 membres, en 1856, à la suite de divers crimes impunis, avec son cortège obligé de visites domiciliaires, de jugemens sommaires et sans recours, de pendaisons et d’expulsions arbitraires. Ce nouveau comité de vigilance, après avoir bravé pendant quelques mois le courroux et les injonctions du gouvernement fédéral, eut la sagesse d’abdiquer, comme celui de 1851, quand il crut sa tâche accomplie. Mais l’impulsion était donnée et plusieurs associations analogues qui se formèrent dans les États du Sud n’imitèrent pas cette modération.

Si plusieurs écrivains, comme Hepworth Dixon et James Bryce, ont pu, non justifier entièrement, mais peut-être expliquer d’une façon plausible l’odieuse pratique des jugemens et des exécutions sommaires par la difficulté de constituer des juridictions régulières à l’origine, dans les États en voie de formation, il faut avouer que leurs explications deviennent de moins en moins convaincantes à mesure que les anciens territoires se transforment en États proprement dits, s’enrichissent et se civilisent. Cependant Bryce, après avoir parlé du lynchage comme d’une coutume motivée par l’état des mœurs et l’imperfection des moyens de répression dans le Far-West, est aussitôt contraint d’ajouter : « La loi de Lynch n’est pas inconnue dans des régions plus civilisées, telles que l’Indiana, l’Ohio, même le Western-New-York. » Il n’est pas difficile de constater avec M. Claudio Jannet que les exécuteurs du Far-West ont trouvé des émules dans la Virginie, le New-York, le Maine, « le Massachusetts lui-même, l’État modèle. » Grave désordre, un peu trop laissé dans l’ombre, à notre avis, par les panégyristes de la république américaine, car il est essentiellement contraire à la notion même de l’État moderne comme aux principes élémentaires de la civilisation qu’on maintienne côte à côte deux justices : l’une, publique, rendue au nom de la nation ; l’autre privée, rendue par quelques individus au nom d’une minorité. Il est encore plus intolérable que les agens de cette justice privée fassent violence aux pouvoirs délégués par l’universalité des citoyens, enfoncent les prisons publiques et mettent à néant les arrêts de la justice régulière. C’est pourquoi nous avons eu la curiosité de rechercher comment un si grand pays, doué d’un tel sens pratique et si fortement épris de la liberté, pouvait supporter une pareille confusion. Nous avons recueilli sur ce point tous les renseignemens possibles en interrogeant de préférence les hommes qui connaissent le mieux les institutions américaines et sont le moins disposés à les déprécier.