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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/339

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mortellement atteint d’une balle dans la tête, est poussé dehors dans les mêmes conditions et subit le même sort. Un journal français du 12 avril a donné sur cette double pendaison de nouveaux détails : un de ces deux prisonniers (Bugnetto, sans doute) aurait été pendu trois lois : la seconde, parce que la corde avait cassé, la troisième, parce qu’il avait eu la force de se soulever par les poignets sur la nouvelle corde et de grimper jusqu’à la barre de fer à laquelle la lanterne était suspendue : ses bourreaux l’auraient fait dégringoler à coups de poing sur le pavé pour le hisser définitivement au réverbère, tandis que l’assemblée entonnait un chant triomphal. Pendant ce temps, la justice sommaire avait suivi son cours dans l’intérieur de la prison. L’officier de police Herron, resté dans ce bâtiment, avait reçu un coup de feu dans le cou : « C’est le seul, en dehors des prisonniers, dit à ce sujet la Tribune de New-York avec une évidente satisfaction, qui puisse avoir à se plaindre. » Le journal américain ne nous apprend pas si cet agent a survécu à sa blessure. D’ailleurs, à midi et demi, la légalité reprenait ses droits et le coroner arrivait sur le théâtre des exécutions pour constater la mort violente des dix Italiens : couvert d’effroyables blessures, un nommé Marchesi n’avait pas encore rendu le dernier soupir : « Il mourra dans quelques minutes, » remarqua le coroner. Le New-York Herald du 17 mars informa ses lecteurs que le président de la république venait d’avoir, à la suite de ces événemens, une conférence avec M. Blaine, ministre des affaires étrangères ; celui-ci avait écrit à M. Nicholls, gouverneur de la Louisiane, que le chef de l’état était fort mécontent (greatly shocked) et regardait le dernier lynching comme « inexcusable. »

On aurait pu croire que le mécontentement du président Harrison et l’émotion produite dans le monde civilisé par la boucherie du 14 mars étaient de nature à calmer pour quelques semaines le zèle des lynchers aux États-Unis. L’événement prouva que de semblables bagatelles n’étaient pas pour décourager les amateurs d’exécutions sommaires. Dès le 27 mars, Parkerson et ses complices avaient trouvé des émules à Middlesborough (Kentucky). Le mulâtre Hunter y avait assassiné, sans motif apparent, un employé de la voie ferrée : les autorités régulières s’étaient emparées du meurtrier. Soixante hommes bien armés vinrent le réclamer et ne rencontrèrent pas l’ombre d’une résistance : Hunter fut immédiatement pendu. Le 11 avril, nouveau cas de lynchage à Kenton, dans l’Ohio : cette fois, c’est un policeman, Harper, qui passait pour avoir poignardé le nommé W. Bales : une foule organisée (organized mob) se dirigea vers la prison et demanda les clés, qu’on se garda bien de lui refuser. Harper fut extrait de sa cellule,