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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/361

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puits, ainsi que le raffinage du naphte ; ils étudieraient, ils trouveraient les moyens d’utiliser toutes les substances aujourd’hui jetées à la mer, et qu’on vend ailleurs au poids de l’or. Ce jour-là, la rivalité du pétrole de Bakou et du pétrole d’Amérique sur les marchés d’Europe ne serait plus qu’un souvenir.


I

Depuis une douzaine d’années, on va en chemin de fer de Batoum à Tiflis et à Bakou. Dans cette dernière ville, au sortir de la gare, un cocher tartare en costume national voulut bien nous conduire, voyageurs et bagages, au Grand-Hôtel de Bakou. J’essayais, avant de m’engager dans la ville, de me représenter par l’imagination les merveilles qui allaient frapper mes yeux : je voyais la vieille cité persane, les vestiges de la domination des shahs et des terribles khans tartares, les flammes éternelles et les guèbres adorateurs du feu ; la Tour de la Demoiselle, d’où fut précipitée, s’il faut en croire le récit de Dumas, la fille bien-aimée d’un khan ; enfin mille ruines, mille souvenirs, mille débris d’un passé, récent encore, puisque la restauration de Bakou ne date que d’hier, et pourtant déjà vénérable comme celui d’une ville sainte, de Jérusalem ou d’Olympie. Hélas ! quelle déception !

A deux pas de la Perse, à vingt-quatre heures de l’Asie centrale, je trouvais une ville moderne, avec des rues bien larges, bien aérées, bordées de maisons assez basses, comme dans toute la Russie, mais très commodes et très saines ; bref, entre Bakou et Pétersbourg ou Odessa, je n’apercevais d’abord aucune différence, et, dans mon désappointement, j’accusais le pic et la pioche du démolisseur, sans songer que la ville neuve s’est élevée à côté, non sur les décombres de l’ancienne. Mais bientôt l’odeur du pétrole me saisit aux narines et me fit souvenir que, si Bakou n’est plus la cité sainte des guèbres, elle n’est pas non plus une ville européenne. Dans ce pays d’huile minérale et d’industrie pétrolifère, on utilise jusqu’aux résidus des raffineries de naphte pour l’arrosage des rues. La terre prend bientôt la consistance de l’asphalte ; les rues, ainsi arrosées et pavées, n’ont jamais ni boue ni poussière, et quant à l’odeur du pétrole, on s’y habitue, paraît-il, assez rapidement.

Telle fut ma première impression sur une ville, dont les premières constructions comptent au plus quarante ans, et la plus grande partie vingt ans à peine d’existence. Le Grand-Hôtel, où je descendis, sans être aussi confortable que les grands hôtels de Paris ou de Londres, était cependant assez bien meublé, et je n’avais, en somme, à me plaindre ni du gîte, ni du couvert.