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fécondes qui alimentent les raffineries de la ville noire ; c’est M. Ludwig Nobel fils qui nous a fait visiter tour à tour les chambres de distillation, les réservoirs de benzine et de kérosine, les appareils destinés au traitement du masude et à la régénération de l’acide sulfurique ; c’est à lui aussi et à quelques ingénieurs dont nous avons mis à profit l’extrême obligeance que nous devons la plupart des renseignemens relatifs au commerce et à l’histoire de l’industrie pétrolifère dans l’Apchéron. Depuis notre voyage au Caucase, l’exploitation et l’exportation du pétrole russe ont augmenté au-delà de toute espérance ; et pourtant, toutes les sources du Turkestan et du Moughan demeurent encore intactes : la fabrication de la vaseline, de la benzine et des substances diverses qui concourent à la formation des couleurs d’aniline est encore fort négligée ; faute d’un assez grand nombre d’ingénieurs européens, sortis, par exemple, des grandes Écoles françaises, l’industrie n’a pas réalisé tous les progrès désirables ; le tunnel du Souram est à peine percé, et, surtout, le bill Mac-Kinley, ce bill de prohibition qui ferme aux produits européens les marchés de l’Union, n’a pas encore porté tous ses fruits. Car, si, comme il est probable, les gouvernemens européens refusent d’accepter à leur tour les produits d’Amérique, la consommation du pétrole de Bakou sera décuplée et au-delà. Qu’importe, d’ailleurs, que plus tard le bill Mac-Kinley soit abrogé ? Le produit caucasien, supérieur par le pouvoir éclairant, doué d’une force d’ascension capillaire plus considérable, d’ailleurs aussi pur et aussi peu coûteux, ne perdra jamais la première place une fois qu’il l’aura conquise ; en France, les rapports amicaux qui s’établissent entre Français et Russes contribueront aussi pour une grande part au développement des relations commerciales entre les deux pays ; bref, tout concorde, en 1891, à déterminer le triomphe prochain et définitif du pétrole russe. La concurrence du pétrole anglais de Birmanie, — fût-il aussi abondant qu’on le prétend à Londres, — n’est pas pour nous émouvoir ; d’ores et déjà la concurrence américaine ne nous effraie plus.


CALOUSTE S. GULBENKIAN.