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sans trouver un gisement aussi productif que le premier, puisqu’il serait le même : or, il en va tout autrement. Il faut bien admettre que les gisemens sont aujourd’hui indépendans pour la plupart, que les sinuosités des réservoirs permettent de découvrir une source abondante à côté de puits vainement forés, etc. Assurément, il arrive que deux gisemens sont restés en communication ou sont mis brusquement en communication par une cause inconnue, quelquefois par la dynamite employée ; on s’explique dès lors comment le forage d’un puits peut stériliser un puits voisin, ou comment une source épuisée peut être régénérée tout à coup. Tout cela est très simple et paraît peu discutable.

Qu’on nous pardonne d’accumuler ainsi les hypothèses à la fin d’une étude qui semble tout d’abord fort capable de s’en passer. L’histoire du commerce, les détails de l’industrie quotidienne sont, à notre avis, d’un intérêt immédiat, et les renseignemens accumulés dans les précédens chapitres suffisent à montrer que nous n’y sommes pas indifférens ; mais, faute de théorie, la pratique dégénère bientôt en routine ; l’art séparé de la science est condamné à rester stationnaire, c’est-à-dire, au fond, à rétrograder ; et, sans les nombreuses tentatives, sans les expériences ingénieuses des chimistes et des physiciens, on verrait encore le naphte de Balakhané, lentement transporté, maladroitement distillé, demeurer inutile dans le Caucase, tandis que dans la Russie entière, de Pétersbourg à Odessa, le pétrole de Pensylvanie supplanterait encore et pour longtemps le produit national de l’Apchéron.


Notre dessein, en abordant une pareille étude, n’était pas d’instituer une comparaison suivie entre le pétrole russe et le pétrole des États-Unis : M. de Tchihatchef, dans un article que n’ont pas oublié les lecteurs de la Revue, a traité ce sujet avec une compétence et une autorité telles que, pour le traiter à notre tour, nous avons dû constamment recourir à l’auteur lui-même. Nous avons cru, maintenant que la comparaison entre les deux pétroles est bien établie, qu’il ne serait pas inutile de faire connaître l’un des deux élémens comparés ; que le pétrole de Bakou, supérieur à son rival par tant de côtés, méritait d’être à son tour étudié en lui-même et pour lui-même. Que sert à un produit d’être le meilleur des deux mondes, s’il en est le moins connu ?

Tout ce que nous avons dit, nous l’avons vu de nos propres yeux ou appris de la bouche des hommes les plus autorisés ; c’est un employé de la maison Zovianof qui nous a conduit sur les hauteurs de Balakhané au milieu des puits jaillissans et des sources