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physique sur les hommes, ont disparu, il ne reste presque rien. Nous éprouvons une impression analogue à celle que nous causent certains portraits où tout est calculé pour la mise en scène, où nous cherchons inutilement un corps sous les couleurs éclatantes des étoffes. Ces discours éphémères ont produit tout leur effet au moment où ils étaient prononcés, ils ont passionné les assemblées ou les foules. Aujourd’hui, cette chaleur, ces mouvemens d’éloquence, ces figures de rhétorique et ces prosopopées sont refroidis, comme la lave quelques jours après l’éruption du volcan.

Presque seul Mirabeau résiste à la lecture, parce qu’il nous apprend toujours quelque chose, parce qu’il connaît à fond et en général de première main les questions qu’il traite. Son instruction si étendue n’a pas d’ailleurs le caractère d’une encyclopédie théorique ; il s’y mêle un grand fonds d’expérience et d’observation pratique. Personne ne s’enferme moins que lui dans des formules spéculatives. Il a trop vécu au milieu de ses semblables, il a trop éprouvé les vicissitudes de la vie pour ne pas se plier aux circonstances. Nous avons déjà eu, nous aurons souvent encore la preuve de la souplesse de son esprit. Sa connaissance des hommes égale sa connaissance des choses. Que de physionomies diverses et opposées n’a-t-il pas eu occasion d’observer dans le cours de son aventureuse existence ! Destiné à faire partie d’une caste, il en est sorti de bonne heure pour explorer les alentours et bientôt la société tout entière. Comme le dit justement M. Charles de Loménie, « il a frayé avec toutes les classes sociales en France et à l’étranger. Il est monté dans les carrosses du roi très chrétien, il a fréquenté des princes et des ministres, cl pourtant il a eu des rapports de familiarité avec des petits hommes de loi, des artistes, des journalistes, des libraires, et jusqu’à des inspecteurs de police. Il a lui-même passé par toutes les conditions, exercé tous les métiers, lutté contre toutes les difficultés. »

Par là encore il est supérieur à la plupart de ses collègues. En est-il un seul parmi eux qui soit plus libre que lui de préjugés, plus au courant de ce que peuvent désirer et souffrir les hommes de chaque condition ? Cette supériorité se révélera bientôt lorsque viendra l’heure des grandes résolutions et des grands débats. En attendant, Mirabeau ronge son frein. Se sentant isolé, tenu à l’écart, il veut forcer la cour et en même temps l’assemblée à compter avec lui. Déjà le jour même de l’ouverture des états-généraux, il avait projeté d’attirer l’attention sur sa personne par un coup d’éclat. Il entrait en séance avec un discours écrit qu’il se proposait de lire, contrairement à l’étiquette, sans en avoir obtenu l’autorisation du roi.

Frochot nous a conservé ce curieux morceau. Mirabeau s’y