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nous ne sortirons que par la force. » — La version qui a prévalu et que la société des jacobins fit graver, en 1791, sur le buste du grand orateur, est la suivante : — « Allez dire à ceux qui vous envoient que nous sommes ici par la volonté nationale et que nous n’en sortirons que par la puissance des baïonnettes. » — Ce dernier mot doit avoir été prononcé, car il choqua Bailly, qui en parle dans ses Mémoires comme d’une expression hors de toute mesure : — « Qui donc, ajoute-t-il, avait parlé d’employer la force des baïonnettes ? »

L’incident a été grossi, probablement avec la complicité de Mirabeau, heureux de jouer un rôle et de montrer sa puissance à ceux qui le traitaient récemment en simple solliciteur. Il vise à coup sûr les ministres, mais aucune de ses paroles n’est dirigée contre le roi, qu’il continue à entourer de son respect. Il réserve toute sa colère pour les conseillers imprudens qui ont préparé et organisé la séance royale : — « C’est ainsi, dit-il avec véhémence à Dumont, qu’on mène les rois à l’échafaud. » — Il insère même, dans sa XIVe lettre à ses commettans, un projet d’adresse aux Français, où il prend publiquement la défense du roi. Nous connaissons les vertus et le cœur du souverain, dit-il en substance. Personne ne nous donnera le change sur ses sentimens. On aura beau employer les formes les moins propres à concilier les esprits, nous saurons bien démêler sous cet appareil menaçant la véritable pensée de notre père. Quelle confiance peut-il avoir dans l’aristocratie ? N’a-t-elle pas été de tout temps l’ennemie du trône ?

Malgré les termes de la déclaration royale, la majorité des députés continuait à se réunir et conservait le titre d’assemblée nationale. Le roi lui-même avait fini par céder, par reconnaître une nécessité devant laquelle il eût été plus habile de s’incliner tout de suite. C’était lui maintenant qui combattait les répugnances de ses amis, qui engageait les dissidens des deux premiers ordres à ne pas se séparer de leurs collègues. Malheureusement, la fatale séance du 23 juin avait échauffé les esprits des deux parts. L’ordre de la noblesse, tout en obéissant au désir du roi, protestait contre la réunion des trois ordres, continuait à se réunir en assemblées particulières et publiait les délibérations de ces assemblées. De grands personnages n’encourageaient-ils pas sous main de telles menées ? Les communes n’étaient-elles pas menacées de perdre le lruitde leur victoire par quelque conspiration aristocratique ? Une immense inquiétude se répandait dans le pays. Les assemblées électorales primaires, qui avaient survécu aux élections, entretenaient presque partout un foyer d’agitation. La nation craignait d’être trahie, la cour d’être débordée. Nulle part l’action du