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rédiger eut, dans toute la France, un grand retentissement. Ce fut la révélation de sa puissance oratoire, l’annonce du rôle décisif qu’il était destiné à jouer. Le ton demeure respectueux ; mais sous la politesse de la forme, sous les éloges donnés à la bonté du roi, on sent la fermeté des résolutions, quelque chose de grave et presque de menaçant. Comme le disait spirituellement Rivarol : — « C’était trop d’amour pour tant de menace et trop de menace pour tant d’amour. » — L’impression produite sur le roi fut profonde. Mirabeau faisait partie de la députation qui alla porter l’adresse ; pendant que M. de Clermont-Tonnerre en donnait lecture, les yeux de Louis XVI restaient obstinément fixés sur celui qui l’avait rédigée.

Le roi pressentait-il en lui un allié possible ou le regardait-il comme le plus redoutable de ses adversaires ? Si Louis XVI eut ce jour-là des appréhensions, Mirabeau fit tout ce qu’il put pour les justifier les jours suivans. Les scènes révolutionnaires de Paris firent sortir l’orateur de la mesure et de la prudence qu’il avait conservées jusque-là. Son amour de la popularité, son désir de rester à la tête du mouvement, le rendent indulgent pour des désordres que son instinct politique devait réprouver. Les grands ambitieux ont de ces faiblesses : pour n’être pas abandonnés par ceux qui les suivent, ils se font les complices de violences qu’ils désapprouvent. Quoique celui-ci eût du courage, comme il l’avait déjà montré, comme il le montrera encore par la suite, il ne se sent pas assez sûr de son crédit et de sa force pour résister aux entraînemens de l’opinion. Il a d’ailleurs besoin des Parisiens, il attend quelque chose d’eux. La popularité de Necker et de La Fayette lui fait envie : il rêve de supplanter Bailly dans les fonctions de maire. Il entre en relations avec les districts parisiens, il passe parmi eux une partie de ses journées et de ses nuits, il va de l’un à l’autre pour les exciter contre les ministres ; il cherche en même temps à attirer l’attention sur sa personne ; peu après la prise de la Bastille, il se fait conduire avec grand apparat sur les ruines de la forteresse. Il en arrive ainsi à des capitulations de conscience qu’Alexis de Tocqueville, dans ses notes inédites, appelle « abominables. » Tout en signalant le danger des insurrections, il excuse, il justifie presque les fureurs du peuple. Il professe surtout une doctrine révolutionnaire au premier chef en soutenant que les municipalités ont le droit de s’organiser comme elles l’entendent, sans que le pouvoir central ait qualité pour intervenir dans leur organisation. Il retire au roi et à l’assemblée toute autorité sur les communes. Au fond, n’attachons à cette déclaration anarchique qu’une valeur de circonstance. Cela veut simplement dire que Mirabeau aspire à être élu par les districts parisiens, sans que ce mode d’élection ait