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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/476

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gouvernemens eux-mêmes, qui ont voulu, comme on dit, prendre la tête du mouvement. Le jeune souverain de l’Allemagne a eu ses rescrits, son congrès du travail à Berlin, et a tenu à se proclamer un empereur socialiste ! Le pape lui-même publie de savantes encycliques et a ses solutions. En France, la république n’a pas voulu se laisser devancer dans la voie des réformes sociales. Nous avons un conseil supérieur du travail, une commission parlementaire du travail. En Espagne, le chef du ministère conservateur exposait récemment tout un programme de réformes ouvrières. Les gouvernemens ont cru habile d’avoir leur socialisme d’état pour l’opposer au socialisme révolutionnaire ; les politiques qui vivent d’agitation ont cherché la popularité dans ces redoutables questions : le dernier mot est ce que nous voyons aujourd’hui, ce mouvement où la confusion des idées risque de conduire à la violence des faits.

Malheureusement, c’est une faiblesse presque universelle aujourd’hui de ne pas pouvoir rester dans la simple vérité, de tout dénaturer par les exagérations, de croire qu’on peut résoudre les questions les plus complexes, les plus délicates, avec des illusions ou des déclamations. C’est aussi une manière de tout compromettre en dissimulant la réalité sous des fictions de complaisance, sous de grands mots, — et lorsque récemment, à propos des incidens de Fourmies et des revendications ouvrières, on parlait des droits et de l’avènement du « quatrième état, » que signifiait ce langage ? que pouvait-il signifier, surtout en France ? Ce n’était qu’un langage captieux et suranné, bon tout au plus pour raviver des divisions factices et flatter des passions qu’on ne pourra satisfaire. Autrefois, sans doute, il y a eu en France des classes, des « états, » une aristocratie qui avait ses privilèges héréditaires, un clergé qui avait sa situation particulière, un troisième état, c’est-à-dire la masse de la nation qui avait ses droits et sa place à conquérir dans la famille française. Aujourd’hui, où sont parmi nous légalement et civilement les classes ? Quel est le droit que les ouvriers n’aient pas comme les autres dans la cité ? Toutes les barrières sont tombées, et ces jours derniers, dans la grande discussion ouverte sur le régime commercial, M. Léon Say, trouvant sur son chemin cette étrange théorie du « quatrième état, » avait spirituellement raison de dire : « Pour moi, je ne sais pas ce que c’est que le quatrième état ; je ne sais pas si j’en suis. Je voudrais en être, s’il doit avoir des privilèges ; mais non ! il n’y a en ce pays qu’un seul état, l’état des citoyens français, qui sont égaux devant la loi. »

Qu’on ne parle donc pas sans cesse, pour flatter des multitudes qu’on devrait plutôt éclairer, de l’avènement du « quatrième état ; » qu’on ne dénature pas des revendications qui peuvent assurément être légitimes, dans une certaine mesure, en leur donnant le caractère d’une révolution sociale à brève échéance. La question sociale ! mais